La pratique d’Ellie Ga emprunte à diverses structures cognitives et narratives telles que l’essai, le documentaire scientifique ou le storytelling que l’artiste met en scène dans des installations filmiques doublées de nombreuses productions dérivées : photographies, diaporamas, vidéos, etc. Son travail est toujours le fruit d’un investissement personnel important qui engage de longues périodes d’immersion dans des contextes prégnants d’où surgit la matière nécessaire à la production. La décision de faire oeuvre naît des imprévus que l’artiste sait pleinement saisir et accompagner au-delà du simple constat de leur survenance, rappelant la manière des Surréalistes. Pour Pharos, c’est le contexte extraordinairement riche des études alexandrines et de la construction du grand phare qui devient le socle d’une enquête mi-scientifique, mi-biographique avec, en arrière-plan, le mythe du dieu Thot, inventeur de l’écriture et symbole de la structuration «moderne» du savoir ; le projet se déploie au M-Museum de Louvain sous la forme de l’installation vidéo Four Thousand Blocks autour de laquelle des pièces annexes fonctionnent comme autant de «compléments d’enquête». La performance Eureka, a Lighthouse Play, programmée au même moment au festival Playground, agit en écho à cette puissante réflexion sur la circulation des images
Numéro 72
Ellie Ga
Will Benedict &co
Alors qu’en ces derniers jours de 2014 les bars à chats se multiplient – même en France, même en région, loin du Japon – qu’ouvrent depuis peu des bars à câlins et qu’il est désormais possible de réserver un psy avec son taxi sans même avoir à s’allonger sur la banquette, il semble possible de dire que tout est potentiellement objet de consommation. C’est peut-être un truisme que de le rappeler mais le produit que nous consommons le plus, nous, citoyens des sociétés occidentales, est certainement l’image et ce, bien loin devant la nourriture. Bien évidemment, il n’est question ici ni d’images mentales ni de métaphores, ni de celles qui se logent dans les discours ou qui semblent être le support de nos souvenirs mais bien de celles qui se matérialisent en permanence sous nos yeux médiées par les outils de communication que l’on sait.
Jean-Christophe Norman: The South Face
Il est possible que vous l’ayez croisé à Istanbul, à Tokyo, au Havre ou encore plus récemment à Belleville accroupi pour tracer à la craie sur le sol des mots qui forment une ligne blanche, un mince filet qui serpente à la surface des trottoirs, slalomant entre les obstacles mais poursuivant imperturbablement sa route. Les projets les plus marquants de Jean-Christophe Norman se déploient en des villes remarquables, déjà riches d’innombrables histoires, que l’artiste s’emploie cependant à recouvrir de nouvelles nappes de récits. Au cours de ces actions, des textes illustres sont écrits à même le sol lors de sessions de plusieurs jours, de nouvelles cartographies sont redessinées qui empruntent à d’autres univers, afin de brouiller les pistes et d’ouvrir de nouvelles voies d’exploration, différentes de ces autoroutes touristiques qui font désormais office d’accès privilégiés aux métropoles. Les voyages de Jean-Claude Norman sont des réécritures, tant littérales que métaphoriques, des récits voyageurs plus que de voyage, qui déplacent les constituants de la fiction et donnent à la littérature des prolongements inattendus.
Steeve Bauras : Small Local Abattoirs #3
Dans le cadre de la 65e édition de Jeune Création, le photographe Steeve Bauras, né en 1982 à Fort-de-France, a investi au moyen d’un projet inédit l’un des espaces du Centquatre à Paris. Au lieu destiné à loger les chevaux qui, autrefois, occupaient le sous-sol de « l’usine à deuil » de la ville, l’artiste donne le sens d’une boucherie ou, littéralement, d’un « petit abattoir de proximité ».
Réflexions sur l’art contemporain de la Caraïbe
Bien que pour nous, jeunes créateurs et plasticiens caribéens qui nous engageons dans la vaste voie de la recherche, il s’agisse de créer, d’inventer des ressources conceptuelles et des idées nouvelles afin de nous définir par une pratique singulière, le processus semble opérer de manière naturelle. Il ne s’agit pas intrinsèquement de la recherche d’un art se voulant spécifique, ni même motivé par une revendication identitaire caribéenne qui conditionne le projet de création d’un point de vue global. C’est un questionnement qui ouvre un débat spécifiquement tourné vers nos territoires insulaires caribéens, produisant une flore artistique de forme relativement variée. On pourrait y trouver des similitudes formelles avec le travail d’artistes continentaux ou hexagonaux. Cependant, si ressemblance il peut y avoir dans la forme, il n’en est peut-être pas de même dans le fond. Les différences se situent dans la construction et l’élaboration des processus de création, dans la posture des artistes que nous sommes, se sachant issus d’espace-temps qui n’ont rien d’anodin et qui ne relèvent en rien de simples détails. Des observations sur la matière, les comportements du vivant et de l’artificiel, m’ont conduite à observer que se dissimulaient des zones indéterminées dans lesquelles les choses se transforment.
Robert Charlotte
C’est à Saint-Vincent, caillou de quelque trois cent quarante-six kilomètres carrés des Petites Antilles, que commence ce voyage. L’histoire raconte que suite au naufrage, en 1635, de navires battant pavillon espagnol chargés d’or et d’esclaves, les Caliponan, métisses amérindiens qui vivaient sur l’île, se mêlèrent aux esclaves en provenance d’Afrique noire, donnant ainsi naissance au peuple Garifuna. Il est dit que ce dernier résista à la colonisation française tout en adoptant quelques traits de sa culture, puis s’y allia pour contrer les invasions britanniques mais que l’échec de cette alliance, pourtant lestée des idéaux révolutionnaires importés de l’Hexagone, mena à la déportation, en 1797, d’une partie de la population vers les côtes du Honduras, du Guatemala et du Belize. La diaspora de ce métissage afrocaribéen mêlé d’éléments de cultures européennes s’étend aujourd’hui du Honduras, où vivent environ cent mille Garinagu, aux États-Unis où en sont établis presque quatre-vingt-dix mille.
Entretien : Zoë Gray
Pour leur quatrième édition, Les Ateliers de Rennes se présentent comme un « temps de récréation » qui interroge à travers un panel de pratiques artistiques des notions aussi ambivalentes et complexes que le travail et le jeu. Zoë Gray, commissaire de la manifestation, revient ici sur sa conception et des enjeux qui résonnent avec le contexte actuel tout en offrant un regard et une expérience résolument ludiques.
Ane Hjort Guttu : Urbanisme Unitaire
Le Quartier, Quimper, du 4 octobre au 11 janvier 2015. Le titre de la première exposition en France d’Ane Hjort Guttu (en association avec Play Time, quatrième édition des Ateliers de Rennes) gratte l’oreille comme un disque rayé ou un mot d’ordre révolutionnaire endurci par sa propre désillusion. Et l’artiste norvégienne n’a pas peur des mots qui fâchent pour pointer les signes de résignation idéologique. À la Kunsthall d’Oslo en 2012, à quelques encablures de la zone portuaire réaménagée en quartier d’affaire et de résidence de luxe par des architectes de la génération qui luttait pour l’égalité sociale dans les années soixante-dix, elle tendait de grandes bâches publicitaires portant le slogan : « Les riches devraient être plus riches ».
Koki Tanaka : A Piano Played by Five Pianists at Once (First Attempt)
Centre d’art contemporain Passerelle, Brest, du 27 septembre 2014 au 3 janvier 2015. Dans le cadre de Play Time, quatrième édition des Ateliers de Rennes-biennale d’art contemporain, et en tant que lieu associé à l’événement, le centre d’art Passerelle à Brest accueille la première exposition solo de Koki Tanaka en France. Ayant représenté le Japon lors de la dernière Biennale de Venise, cet artiste, aujourd’hui installé à Los Angeles, développe une pratique marquée par une économie de moyens, par la mise en place de procédés empiriques où le hasard tient toute sa place et où le quotidien se voit réinvesti par des gestes en apparence simples mêlant poésie et absurde. Son travail se situe clairement du côté du process et s’attache en premier lieu à saisir ce qu’il advient d’une situation donnée ou d’une contrainte de départ, déterminée en amont par l’artiste.
Mark Leckey : Enchanter la matière vulgaire *
Wiels, du 26 septembre 2014 au 11 janvier 2015. L’exposition de Mark Leckey au Wiels se présente comme une vue d’ensemble des oeuvres de l’artiste depuis la fin des années quatre-vingt-dix jusqu’à aujourd’hui, sans parler explicitement de « rétrospective » ; un examen de son oeuvre riche et complexe montre en effet qu’une tentative de rétrospective serait vouée à l’échec, tant sa démarche résiste à cette notion. Et pas seulement parce que toute rétrospective nécessite le respect d’une chronologie : après tout, une grande partie de son oeuvre mémorise différentes étapes de sa vie jusqu’à aujourd’hui. Une rétrospective serait donc hors de propos chez Leckey, essentiellement parce que l’artiste use constamment de ses oeuvres passées dans ses oeuvres récentes et vice versa.
Daniel Buren : Comme un jeu d’enfant, travaux in-situ
S’interrogeant, comme à son habitude, sur la question de la sculpture dans l’espace public, en 1998, Daniel Buren écrivait : «Quelle signification ces objets ont-ils ?». Et, « Si le même objet se trouve au musée, sa signification est-elle identique ? ». Ce à quoi la question suivante venait faire miroir : «L’art dans la rue est-il le même que celui qui se trouve au musée ? »