« Le mensonge de l’après-coup ». C’est en ces termes que François Cusset aborde l’épineuse question de la caractérisation d’une période dans son texte introductif de l’ouvrage qui accompagne l’exposition « 1984-1999 La décennie ». De sa méditation désillusionnée sur les effets de la périodisation du temps, l’on retiendra que, bien que ce soit toujours pour tenter de définir notre présent que l’on s’essaie à le circonscrire de temps alentour, « être de son temps, c’était cette fois ne pas en être ». Être un negative creep, un farouche opposé à défaut d’un opposant, c’était tenter de fuir le présent mais pour quelles contrées ?
Pre → Post-Internet
De décennies en millénaires, Smells Like Ten Spirit
De l’art “post-Internet ”
On a pu remarquer il y a déjà quelque temps l’apparition du terme « post-Internet » visant à qualifier et à analyser les pratiques d’une nouvelle génération d’artistes, nés dans les années quatre-vingt et marqués par l’influence d’Internet lors de leur formation artistique dans les années deux mille. Cette dernière décennie fut en effet celle de la démocratisation du web (avec sa version 2.0), de l’apogée des réseaux sociaux, d’un accès illimité à la connaissance et de la vente en ligne, autant d’outils propices à la création artistique à une époque où semble acquis le principe d’interdisciplinarité dans les arts visuels. Ce vocable semble cependant se concentrer sur des pratiques artistiques considérant Internet non seulement comme un outil de travail mais aussi comme une manne esthétique en soi, autosuffisante, permettant d’explorer et d’habiter l’incommensurable complexité de nos sociétés contemporaines.
Artie Vierkant
Il y a deux ans, Artie Vierkant, alors fraîchement diplômé de l’Université de Californie à San Diego, indiquait qu’à l’école, les professeurs lui rappelaient constamment que la manière dont il choisissait de documenter son travail était aussi importante que le travail lui-même. Il s’était notamment déjà fait connaître en 2010 par son texte The Image Object Post-Internet publié sur plusieurs sites Internet. Retravaillant la documentation visuelle de son travail, il en propose une expérience également inédite en ligne. La volonté d’ubiquité de sa démarche interroge.
Un son suivi des yeux
Tobias Madison a réalisé quatre vidéos entre 2012 et 2013, utilisant autant de techniques différentes et sur trois continents. Ces techniques permettent d’incarner, grâce à des systèmes rudimentaires d’intelligence artificielle, des liens invisibles entre l’homme, l’espace d’exposition et, par extension, la ville ; ces vidéos interrogent la façon dont ces technologies, reposant sur un regard qui n’est pas celui d’un être humain, connectent et pénètrent simultanément le corps, bouleversant son mode de perception de son entourage. Tobias Madison et Jeanne Graff ont collaboré sur plusieurs projets depuis 2012. Ils sont membres du groupe Solar Lice.
Ed Atkins
Voir le film Godzilla dans une grande salle de cinéma ou le regarder en streaming un samedi soir, à moitié assoupie dans son lit, en trois fois, et avec une connexion Internet ralentie par la saturation du serveur, sont deux expériences fondamentalement étrangères l’une à l’autre. Je ne conseille par ailleurs à personne de regarder Gravity pendant un vol transatlantique : outre la nature angoissante de la comparaison qu’on ne manquera pas d’établir entre sa propre situation physique et celle du personnage de Sandra Bullock (des corps piégés dans un environnement artificiel en suspension dans un milieu hostile), l’écran est tout simplement trop petit et le son trop bas pour que le film fonctionne. Il s’agit peut-être d’une évidence mais il faut se souvenir parfois que la fréquentation d’un cinéma, quel que soit le type de film, d’ailleurs, et pas seulement les grosses productions, n’a rien à voir avec la consultation en ligne d’un fichier .mp4 ou .avi. Les conditions techniques de la réception varient considérablement, certes, mais, surtout, le corps se trouve engagé de manière tout à fait différente dans chacune de ces deux expériences.
Les réalités augmentées de Neïl Beloufa
« - Je l’aime bien. - Quoi ? - Le blouson - C’est vrai qu’il était pas mal. Je parle du garçon, pas du blouson. » Neïl Beloufa s’est toujours plu à tester la porosité des frontières entre objet et sujet. Il y a du jeu dans ses assemblages hétéroclites, et si rien ne s’écroule, c’est que tout est en mouvement. Ses expositions sont conçues comme des entités fonctionnant en circuit fermé, à la fois autophages et autogénératrices.
Entretien avec Nataša Petrešin-Bachelez
Commissaire invitée du programme Satellite du Jeu de Paume 2014, Nataša Petrešin-Bachelez a placé l’ensemble de son projet sous le signe de l’empathie. À travers l’invitation faite à quatre artistes, elle explore les modalités de réception de ce sentiment, cherchant à se détourner du discours ambiant qui consiste à vouloir installer les protagonistes dans des situations stéréotypées, alors qu’une nouvelle approche, issue des études postcoloniales et féministes, cherche à replacer cette relation dans une configuration élargie où ses déterminants sont interrogés à l’aune des antécédents historiques et des situations en présence ; ces recherches alternatives sur l’empathie ont par ailleurs des conséquences généralisables à l’ensemble des relations où il est question de domination, au-delà du terrain postcolonial, même si ce dernier se révèle particulièrement propice à la remise en cause de l’allant de soi. Ce qui nous intéresse ici, dans le cadre d’une série de propositions au sein d’une institution, c’est la manière dont la commissaire, par son choix d’artistes, cherche à mettre en relief et en polémique les occurrences d’un sentiment complexe pouvant se manifester de multiples manières entre les différents acteurs concernés, y compris entre le commissaire, les artistes et le contexte de l’exposition.