Exposition sans artiste(s)

Exposer l’art brut et l’art contemporain : le rôle des commissaires d’expositions

par Delphine Dori

L’Art Brut semble s’inscrire dans le vaste mouvement de déconstruction des frontières de l’art/1 qui a lieu depuis le début du XXe siècle, par le biais de la transgression des normes esthétiques opérée par les avant-gardes. Là où Duchamp et ses ready-mades, puis les artistes contemporains, évacuaient le geste artistique en remettant en ques- tion la notion de création (en transférant un objet du monde ordinaire dans le champ de l’art), Dubuffet en inventant la théorie de l’Art Brut, remettra en question la notion même d’artiste en allant chercher les artistes du côté des créateurs non désignés comme tels, et indemnes de culture proprement artistique (fous, marginaux autodidactes, spi- rites...). Pourtant, ces œuvres, qui étaient autrefois rangées sous le nom d’Art Brut, et situées dans une opposition vis-à-vis de l’art insti- tutionnel trouvent progressivement une place au sein des mondes de l’art. Non seulement ces œuvres « s’institutionnalisent » dans le cadre des mondes de l’art outsider, mais elles sont aussi parfois exposées aux côtés d’objets appartenant à l’art moderne et contemporain, au sein de l’art officiel.

Ugo Rondinone et l’actualité de l’artiste-commissaire

par Claire Moeder

La reconnaissance de la figure du commissaire d’expositions est ré- cente dans l’histoire de l’art. Se développant rapidement depuis la seconde guerre mondiale, elle présente, depuis les années 1960, toute sa diversité et son positionnement pluriel au sein des lieux artistiques. L’histoire contemporaine des expositions exige plus que jamais d’intégrer une histoire exhaustive de ses commissaires et acteurs fonda- mentaux. Parmi eux, la figure tutélaire d’Harald Szeemann est venue constituer l’émergence – dès 1969 avec la Kunsthalle de Berne – de la posture du commissariat indépendant mais également de l’auteur d’exposition. Si l’on accède aujourd’hui à une possible – et néanmoins partielle – définition du commissariat d’expositions à travers les réalisations et écrits d’Harald Szeemann, le rôle du commissaire n’a de cesse depuis d’être perturbé, redéfini et questionné.

Expositions des collections, turbulences dans les musées d’art moderne

par Aurélie Champion

Le musée d’art moderne et contemporain – contrairement au centre d’art ou à la kunsthalle également apparus au xxe siècle – est intrinsèquement lié à l’existence et à la présence d’une collection d’œuvres d’art, dite « permanente ». Quelle que soit sa nature, la collection identifie et positionne le musée dans le champ culturel et scientifique, à une échelle nationale et internationale. La collection est au cœur de l’activité du musée à travers les différentes missions d’enrichissement, de conservation, d’étude, de valorisation et de diffusion qui y sont liées, mais également par son exposition : l’accrochage ou ex- position permanente. Pour autant, le développement important de la pratique de l’exposition depuis les années 1980 a transformé progressivement le musée en lieu d’expositions temporaires. Depuis, et ceci de manière de plus en plus visible, le musée se positionne sur la scène artistique internationale par le biais d’expositions de grande envergure – dites « blockbusters » –, autant que par la nature et la qualité de sa collection. Les expositions temporaires sont ainsi devenues un terrain d’expérimentations et de recherches pour de nouvelles pratiques muséographiques.

Le catalogue d’art contemporain

par Colette Leinman

Le catalogue d’exposition d’art contemporain peut devenir un instrument stratégique, un objet de savoir ou de pouvoir dont les modalités excèdent l’exposition et son cadre muséologique. Cet article s’attache à présenter l’évolution d’un dispositif qui, transposant le visuel en verbal et substituant de nouveaux enjeux à la littérature cri- tique, rivalise avec l’exposition à laquelle il sert toutefois de témoin et de «lieu de mémoire». Je tenterai de montrer ici comment le catalogue muséal d’art contemporain (CMAC), tout en présentant les caractéristiques du catalogue traditionnel (description, explication et évaluation) s’autonomise par rapport à l’exposition, et comment cette tendance à l’autonomie provient du changement de la fonction première du catalogue, la médiation, au profit d’une valorisation de la position de l’institution et de ses acteurs dans le champ artistique et intellectuel. Ces catalogues se distinguent de ceux des galeries d’art pour qui la viabilité artistique et commerciale est liée à la découverte de nouveaux artistes que les institutions reconnaîtront ensuite: les musées collectionnent l’art, les galeries le vendent. Sans prétendre à une généralisation, le travail porte sur un corpus composé d’un grand nombre de catalogues d’expositions d’art contemporain choisis par- mi ceux publiés par le Centre Pompidou/1 jusqu’à ses plus récentes publications et par des musées d’art contemporain (le Carré d’art de Nîmes, le Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne Métropole). Les nouveaux enjeux du catalogue y sont examinés à partir des trois domaines dans lesquels ils se manifestent le plus clairement: la stratégie éditoriale ; l’éthos prédiscursif et discursif de l’auteur du catalogue, ou la façon dont l’image qu’il donne de sa personne lui assure autorité et crédibilité; et enfin, la représentation de l’artiste, certes mise en valeur, mais qui lui échappe pour être mise au service des intérêts du commissaire/auteur du catalogue de l’exposition.

La programmation artistique en milieu scolaire: un cas avéré d’instrumentalisation de l’art?

par Géraldine Miquelot

Les collections publiques d’art contemporain sont des agents du monde de l’art au même titre que les musées ou les centres d’art contemporain. Elles ont pour mission la diffusion d’œuvres sur un territoire donné. Cette diffusion passe par l’organisation d’expositions dans des lieux non artistiques tels que des écoles, hôpitaux, magasins, espaces publics, etc. La plupart de ces projets sont pilotés par les équipes des collections, notamment les personnes en charge des actions pédagogiques (responsables des publics, chargés d’action éducative, chargés de médiation...). À ces projets s’ajoutent des prêts d’œuvres, demandés par d’autres acteurs du monde de l’art dans le cadre d’ex- positions temporaires dans des institutions artistiques (musées, centres d’art). Les « projets » sont ainsi différenciés de ces prêts en raison de l’implication des équipes pédagogiques.

La scénographie plasticienne en question

par Claire Lahuerta

Évoquer une exposition sans artiste – et donc sans œuvre – n’est pas la même chose qu’analyser l’exposition d’œuvres immatérielles. Une exposition qui n’aurait « rien » à montrer peut en effet être le fait d’artistes « minimalistes » à l’extrême ou de militants anti-art, dont le projet serait de se dégager du visuel ou de la «chose en soi». La rétrospective « Vides », proposée en 2009 par le Centre Pompidou n’était donc pas, en ce sens, une exposition sans artistes – pas plus qu’une exposition sans œuvres d’ailleurs – mais une rétrospective de dispositifs artistiques dont les partis pris étaient d’assumer le vide comme un matériau, en lui donnant des sens divers : onirique, provocateur, économique, critique, etc., bien que ses auteurs ne l’aient pas toujours aussi clairement formulé.

Sisyphe de Camus à Palermo

par Jean-Baptiste Mognetti

En 1964, Blinky Palermo entre dans la classe de Joseph Beuys à la Kunstakademie de Düsseldorf. Durant ses années d’études (1962- 1967), Palermo connaît d’abord Beuys comme un artiste réalisant des actions. Il aiguise à son contact sa conscience de peintre et se forge, en éprouvant les dimensions existentielles de l’œuvre d’art, un nouveau concept: celui de la peinture comme possible. Possibilité que Beuys place au cœur de son analyse du Mythe de Sisyphe d’Albert Camus dans une conférence prononcée à l’université de Cambridge le 28 mai 1983 dont le contenu n’a, à ce jour, pas été exploité par la critique.

Nathalie Lecroc “Carnet de trèfles”

par Nathalie Lecroc · visuels: Nathalie Lecroc

Nathalie Lecroc développe de multiples questionnements ayant trait à la mémoire, au vivant, à la féminité, à l’ironie, au travers de plu- sieurs constantes telles les notions de collection, de secret, d’intimité que recouvrent les mythes sociologiques : Petite Anthologie de sacs et sacs à main, (1998- ), Saynètes 1999-2000 ou Miss Lecroc épluche d’un seul coup de main vos pommes, 2000.

Anne Cauquelin À l’angle des mondes possibles

par Nathalie Desmet

Y a-t-il une réalité des univers parallèles? Existe-t-il d’autres mondes que nous pour- rions d’une façon ou d’une autre habiter? L’hypothèse est séduisante. C’est celle que l’auteure nous invite à suivre, non pas en s’appuyant sur les théories de la fiction, mais en cherchant ce qui, dans certains mondes persistants dits virtuels, permet- trait de confirmer la possibilité des mondes alternes. Pour construire une ontologie satisfaisante, l’auteure voit dans la prétention de l’art à ouvrir des mondes, ou à en créer, un préalable à étudier. Les relations entre le caché, l’invisible et le visible ou le réel dans l’art s’affirment en effet la plupart du temps comme une promesse d’accès à un autre monde. Sous cet aspect, l’ouvrage poursuit la réflexion menée dans Fréquenter les Incorporels (2006).

Prospective XXIe siècle

par Marion Alluchon

Cicéron proposait aux jeunes orateurs, pour mieux se souvenir de leurs discours, de ranger leurs différents arguments dans les pièces d’une maison imaginaire qu’ils parcourraient tout en déclamant. Ce moyen mnémotechnique se présentant sous la forme d’un habitat dont chaque pièce constitue un argument est à l’image de la scénographie choisie par Xavier Franceschi, directeur du FRAC Île-de-France/Le Plateau, pour présenter au public les nouvelles acquisitions du FRAC rassemblées sous la thématique de la mémoire. Pour Prospective XXIe siècle, l’espace du Plateau a en effet été fragmenté en plusieurs petites pièces, contenant chacune les œuvres d’un même artiste, comme autant de propositions singulières sur le thème abordé.

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