Numéro 32

Gand sur scène

par Tom Rummens · visuels: Peter de Windt

À en juger d’après le nombre de comédiens et organisations d’art scénique exerçant leur activité à Gand, cette ville de taille relativement modeste doit être un biotope de création artistique particulièrement fertile. J’insiste sur le mot création, car c’est bien sur ce plan-là que la ville de Gand produit de nombreuses oeuvres, parfois très intéressantes. Gand est la ville d’attache de dramaturges et de chorégraphes célèbres comme Alain Platel, Arne Sierens et Eric De Volder. Et Gand est également la ville qui a vu naître plusieurs centres extraordinaires, dans lesquels le travail des jeunes dramaturges de la nouvelle génération trouve un soutien et un encouragement importants.

Hubert Colas : Alternatif / Alter-ego / Alter

par Joëlle Gayot · visuels: Elisabeth Carecchio

Hubert Colas est l’auteur et le metteur en scène de Sans faim. Ce pourquoi nous le rencontrons. Son écriture, sa mise en scène, son spectacle. Le théâtre. Objet de la discussion. Hubert Colas dirige, à Marseille, le Centre Montevideo, consacré, pour partie, aux écritures contemporaines. Hubert Colas a mis en scène, notamment, des textes de Christine Angot, Sarah Kane ou Joris Lacoste. Hubert Colas pratique-t-il un théâtre alternatif ? Pas certain. Il faut, d’emblée, s’entendre sur ce que recouvre le terme « alternatif ». Le théâtre d’Hubert Colas est un théâtre de l’autre. Une recherche et une reconnaissance de l’altérité, de la singularité, de l’étranger.

Frédéric Fisbach : “Je préfère le terme de spectateur à celui de public”

par Pascale Gateau · visuels: Danielle Pierre

Ancien comédien de la troupe de Stanislas Nordey, Frédéric Fisbach a réalisé plusieurs mises en scène, singulièrement L’Annonce faite à Marie de Claudel, Bérénice de Racine en collaboration avec le chorégraphe Bernardo Montet, Les Paravents de Genet avec des marionnettistes japonais, Agrippina, opéra de Haendel, Kyrielle du sentiment des choses, opéra de chambre de François Sahran sur un poème de Jacques Roubaud. Il prépare L’Illusion comique de Corneille pour le Festival d’Avignon, dont il sera l’artiste associé en 2007. Cet artiste, qui fonde sa démarche théâtrale sur la tension du rapport de la scène et du spectateur, dirige depuis 2002 l’atypique Studio-théâtre de Vitry, lieu de recherches basées sur le principe de la mise en commun des pratiques artistiques.

Jean Lambert-wild : “Une alternative sans des institutions est mort-née”

par Chantal Boiron

Écrivain, metteur en scène et scénographe, Jean Lambert-wild s’affirme aujourd’hui comme l’un des artistes les plus singuliers de la nouvelle génération du théâtre français. Dans ses premières mises en scène, il manifeste un vif intérêt pour des auteurs comme Gombrowicz, Kafka, Bond. Parallèlement, il monte ses propres textes : Grande Lessive de printemps (1990), V versus W (1997), Splendeur et Lassitude du Capitaine Marion Déperrier (1999) ; et réalise un certain nombre de performances : Paradis (1998), Noyades (1999), Aegri Somnia et Le Mur (2002). Ce qui est remarquable chez ce jeune artiste de 31 ans qui rêvait, à 17 ans, de devenir marin, c’est que chacun de ses spectacles fait partie d’une oeuvre qu’il porte en lui. Pour arriver au bout de cette oeuvre, il lui faudra des années et des années de travail. Le projet de Jean Lambert-wild s’inscrit dans le temps et la cohérence. Il a l’étoffe d’un « constructeur ». Il y a six ans, Jean Lambert-wild (qui est artiste associé au Granit, Scène nationale de Belfort depuis 2000) a fondé avec, entre autres, le compositeur Jean-Luc Therminarias et l’éclairagiste Renaud Lagier, « la Coopérative 326 » qui leur assure la possibilité de travailler ensemble en préservant l’autonomie et la créativité de chacun.

Jean-Baptiste Sastre : “Le droit de jouir au théâtre”

par Maïa Bouteillet · visuels: Pascal Gély

« J’ai fait du théâtre pour faire chier mes parents », lâche Jean Baptiste Sastre, savourant la provocation, lorsqu’on lui demande d’où lui vient cette manière rageuse d’empoigner la scène à bras-le-corps. De ruer dans les brancards pour se frotter à des défis impossibles. Comme de monter Les Paravents, la pièce monstre de Jean Genet, avec seize comédiens fortes têtes et un budget d’autant plus serré que deux coproducteurs ont lâché l’aventure au dernier moment. Sans le théâtre de Chaillot – qui a soutenu Sastre jusqu’au bout comme il l’avait fait en 2001 pour son Tamerlan de Marlowe si violemment attaqué –, l’histoire toujours houleuse de la pièce de Genet ne se serait pas enrichie de cette mise en scène. Un spectacle qui ne cherche pas, en dramaturge appliqué, à expliciter ce qui ne peut l’être, mais plonge au contraire au coeur de la langue et du théâtre de Genet dans toute son exubérance baroque, foutraque, intensément poétique et incompréhensible mais sublime. Un travail inoubliable traversé par la rage et la joie d’acteurs monstres. Sans doute la plus juste depuis celle de Chéreau.

Pascal Rambert : “Avoir été et n’être plus”

par Joëlle Gayot · visuels: Sylvain Duffard

Tentative de dire ici le geste de Pascal Rambert à l’aune de sa dernière proposition, seul critère retenu par l’observation, échelle de valeur des conclusions envisagées. Nous avons vu, comme d’autres, Paradis (un temps à déplier). Définir l’objet est complexe. Ce que propose Rambert ressort-il de l’alternatif ? Est-ce du théâtre ? De l’art plastique ? De l’installation ? S’agit-il d’une performance ? Bien malin qui pourrait répondre. Les mots qui suivent tenteront de cerner au plus près les contours d’une représentation à nulle autre pareille, Paradis, précisément, cette forme créée en un temps et à un endroit X, par l’auteur metteur en scène, né en 1962. Une forme qui fait que nous, ses spectateurs, ne sommes plus ce que nous étions (avons été).

Arts de la rue : État des lieux

par Thomas Hahn · visuels: Muteau

Théâtre de rue, appellation d’origine non contrôlée. « La rue » renaît en France dans les années soixante-soixante-dix, par la contestation des institutions théâtrales, trop renfermées sur elles-mêmes. Les artistes s’insurgent contre la dominance des écoles et le conformisme ambiant. C’était l’époque des origines anarchiques et bruyantes, du Grand Magic Circus en France et des Living Theater et Bread & Puppet aux États-Unis. Depuis, les compagnies « de rue » à la française ont acquis une excellence artistique et un degré de professionnalisation uniques dans le monde. Un produit d’exportation qui fait rayonner l’image de la France au même titre que la danse contemporaine ou le nouveau cirque. La France a connu un essor spectaculaire des festivals « de rue » pendant la décennie passée. Mais la gloire a son prix. Voici donc ce qui est devenu, pour la partie « de luxe » de la gamme, une véritable branche de l’industrie du spectacle. Toujours plus hauts les échafaudages, toujours plus longs les cortèges. Écrasé par sa propre surenchère économique, de plus en plus difficile à assumer, le spectacle monumental bat aujourd’hui en retraite.

La scène alternative polonaise existe-t’elle encore ?

par Piotr Gruszczynski

Tandis que le nouveau théâtre polonais gravite autour du Teatr Rozmaitosci de Varsovie dirigé par Grzegorz Jarzyna, et que le nouveau langage théâtral issu de la méthode de Krystian Lupa marque de son influence plusieurs centres de création en Pologne (mon intention ici n’étant pas de cerner la nature de cette influence : recherche ou simple imitation), on se demande de plus en plus si la scène alternative polonaise existe encore : des attentes qui trouvent leur justification dans le passé. En effet, à la fin des années soixante et dans les années soixante-dix, le théâtre étudiant réinvente le langage théâtral, de là arrive une nouvelle poétique qui infiltre ensuite le courant officiel. C’est le cas du théâtre Gardzienice qui a marqué si fortement les années quatre-vingt. Autre exemple, Kantor et Grotowski, les deux innovateurs les plus célèbres du théâtre polonais du XXe siècle, s’inscrivent en marge du théâtre institutionnel. Grotowski va même plus loin, avec une démarche qui vise à sortir du théâtre, à rompre totalement avec lui. Mais dans la Pologne d’aujourd’hui, pouvons-nous encore parler de la scène alternative ?

Auteur : Rodrigo Garcia

par Maïa Bouteillet

En l’espace de quelques années, Rodrigo García est devenu l’un des trois auteurs vivants les plus joués sur les scènes françaises. Non que passées à la postérité, ses pièces seraient montées par d’autres (peu s’y sont encore risqués) mais surtout parce que, depuis l’apparition du créateur hispano-argentin de ce côté-ci de la frontière – via Rennes et Valence en 1999/2000, à un moment où les conditions de création devenaient de plus en plus difficiles pour lui en Espagne –, les théâtres et les festivals de toute l’Europe se le disputent.

Entretiens avec les comédiens de Rodrigo García

par Maïa Bouteillet

Juan Loriente et Patricia Llamas : “Nous faisons du théâtre à partir de ce que nous sommes”

Rodrigo García

par Rodrigo García · visuels: Rodrigo García

Je préfère que ce soit Goya qui m’empêche de fermer l’oeil plutôt que n’importe quel enfoiré

Standard idéal, idéal standard ?

par Maïa Bouteillet · visuels: Thomas Aurin

Mine de rien, derrière la boutade, c’est un festival d’envergure qui vient de naître à l’affiche de la MC93 de Bobigny. Ce qu’il en adviendra par la suite n’est pas encore fixé. Ni le cadre - biennale ? Rendez-vous annuel ? Partenariat avec d’autres scènes ? – ni, bien entendu, la programmation. Des ressources budgétaires dépendent la plupart des réponses. D’autant qu’à l’avenir, Patrick Sommier pourrait aussi envisager la manifestation comme un lieu de créations. Le directeur de la maison espère en tout cas pouvoir reconduire un « temps de festival qui permet d’aborder le théâtre d’une autre manière » et de confronter notre regard à l’ailleurs, à l’Autre, en ne conviant que des équipes étrangères avec, en point d’orgue, une ou plusieurs journées de débats.

À Kiev, un théâtre en question

par Chantal Boiron

En novembre 2002, le metteur en scène ukrainien Dimitri Bogomazov mettait en place à Kiev, sur les conseils d’Olivier Poivre d’Arvor, directeur de l’AFAA, la première Plate-forme du Théâtre ukrainien. La deuxième édition eut lieu un an plus tard, avec le soutien du Département des Arts et de la Culture de la Ville de Kiev. Cette initiative devrait inciter les professionnels étrangers à s’intéresser à un théâtre que l’on connaît mal. Et, surtout, encourager les artistes ukrainiens qui travaillent dans des conditions très difficiles.

Une nouvelle génération d’auteurs lituaniens, en quête de singularité

par Ramune Bieliauskaite

En Lituanie, une nouvelle génération d’auteurs a surgi vers 1994, mettant ainsi fin à la crise dramaturgique que connaissait le théâtre dans ce pays depuis son indépendance en 1991. Marius Ivaökevièius (1973), Sigitas Parulskis (1965), Renata Serelytë (1970), Herkus Kunèius (1965), Laura-Sintija Èerniauskaitë (1976), Gintaras Grajauskas (1965), Tomas Sinkariukas (1971) sont les dramaturges lituaniens contemporains les plus joués actuellement. Ils se distinguent de leurs prédécesseurs autant parce qu’ils abordent de nouvelles thématiques que parce qu’ils recherchent de nouvelles formes dramatiques et un style d’écriture individuel.

Slovénie : Mejni Fest, festival sans frontières

par Chantal Boiron

Le 30 avril 2004, alors que la Slovénie entrait avec neuf autres pays dans la Communauté Européenne, un nouveau festival « Mejni Fest » voyait le jour à Nova Gorica, une petite ville slovène située sur la frontière, à quelques centaines de mètres de sa jumelle italienne, Gorizia. Gorizia ayant été allouée aux Italiens après la Seconde Guerre mondiale, les Yougoslaves décidèrent de construire une ville nouvelle juste à la frontière. On imagine le nombre de fois où les habitants des deux villes ont dû présenter leur passeport. De ce point de vue, le 1er mai 2004 n’a pas changé grand-chose. On doit toujours montrer patte blanche pour pouvoir aller d’une ville à l’autre. Il faudra patienter encore quelques années pour que la frontière disparaisse totalement.

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