Numéro 30

Douleur muette

par Brice Gautier

On était dimanche. J’essayais de vivre ce qui me restait de vie.

Genèse et le facteur

par Timothée Léchot

Depuis la nuit des temps qu’il délivrait des lettres, le vieux Théodule n’avait jamais lu son prénom sous le moindre timbre-poste. Au seuil de la retraite et de l’immeuble B2, il se faisait la réflexion qu’il était sans doute le dernier homme sur terre à le porter. Du coup, il se trompa de fente : il glissa le courrier de Dragan Blazejewicz dans la boîte de Marisa Dias.

La cigogne à six pattes

par Fabrice Marzuolo

Je sors d’une sale rupture, j’essaye... Je m’épuise à tirer de ma cervelle tous les asticots que cette Vénus y a pondus. Je la décortique, au couteau, et je me la trimballe allégée, la matière grise. Un vaillant curage qui me vaut de voir un peu plus clair sous l’idiosyncrasie de mon clocher.

Beau comme un dieu

par Christine Balbo

Comme un dieu grec, ou l’idée d’un dieu grec. Le teint hâlé, le cheveu souple, les yeux clairs, si clairs. Aymeric Prades entra sur scène avec au creux du ventre une étincelle merveilleuse de peur panique. Il aimait et détestait ça, les festivals, les assises, toutes ces rencontres littéraires qui lui permettaient d’étalonner son succès, de le mesurer à l’aune des applaudissements, des sifflets admiratifs parfois, des souffles coupés la plupart du temps.

Tout doit disparaître

par Emmanuelle Cart-Tanneur

John Dubby déambulait le long de Swan Avenue. Et il se sentait bien. Enfin ! Mieux, même : délivré. Délivré de ces angoisses, de ces épées de Damoclès, de ces menaces permanentes qui l’avaient trop longtemps miné.

Le stage

par Derek Munn

On lui a dit de venir ici. Le voilà. Un déplacement. Un soi-disant stage. Beaucoup de route, deux nuits d’hôtel, un jour et demi d’abstractions. Une façon de faire des économies. Investir dans la communication, mais surtout ne rien dire.

L’immeuble

par Daniel Birnbaum

Je vis dans un immeuble un peu particulier. L’ascenseur monte mais ne descend jamais. Vous me direz Mais non, ce n’est pas possible ça. En effet, ça semble incroyable, mais pourtant je vous le jure, il monte bien, mais il ne descend pas. Venez et essayez, si vous ne me croyez pas. Bon, ça aurait pu être pire. Imaginez s’il descendait et ne montait jamais !

Dans les deux bras du fleuve

par Gilles Bertin

Quand Moskova attend ainsi, immobile, tête à l’horizontale, l’œil fixe, les pattes très droites, elle ressemble à une statue d’elle-même. JP souffle la première bouffée de sa cigarette, enfonce paquet et briquet dans sa poche et sort son téléphone. Ils se mettent en marche simul- tanément, comme tous les soirs, pour leur promenade, du même pas très lent — on dirait qu’ils marchent en pantoufles —, longent les distributeurs de billets du Crédit Maritime et prennent la contre-allée du boulevard, Jean-Patrick lisant son téléphone et Moskova avançant en bougeant seulement ses pattes, comme si le reste de son corps était plâtré.

Un chien dans la nuit

par Anouche Kunth

Sur ordre de la Nation, René ôta son pantalon de flanelle et revêtit, après inspection sanitaire, une panoplie de soldat. Il fut ensuite convoyé à l’intersection du 49° 10’ de latitude Nord et du 5° 23’ de longitude Est. C’est là que se trouvaient les Barbares. Avec eux, il faudrait en découdre. Se battre pour sauver sa peau, et pour trouer la leur.

De l’évolution

par Philippe Leroyer

Darwin avait raison à un détail près. Moi. L’évolution et tous ses addenda, pas de problème, tout cet édifice conceptuel a été largement prouvé. Enfin, quand je dis prouvé, c’est manière de dire. Disons que des faisceaux d’indices concordants donnent à penser que c’est une théorie qui tient la route. Ne m’applaudissez pas, il est très aisé de manier la langue de bois scientifique. Surtout face à des béotiens comme vous.

Milord est en vacances

par Anita Fernandez

La pendule a sonné ses huit coups, il est temps, j’y vais. J’entends mon voisin du dessous dévaler l’escalier, il est en retard. C’est le nouveau locataire, il a remplacé la vieille acariâtre du troisième. Elle a dit qu’elle partait en province chez ses enfants, je les plains. Le jeune stoppe sa course au rez-de-chaussée. Il m’a entendue. Pressé mais courtois, il attend pour me tenir la porte. Son after-shave est violent.

Freedom for the skin

par Méryl Marchetti

Je baigne. Au début, la cavité est toujours très grande pour moi. Je me déplace en me retroussant comme une chaussette, par l’anus ou par la bouche ; mais l’amplitude de mes mouvements en fin de baignade est de plus en plus réduite. C’est en circulant que le sang me traverse, mais dès qu’il coagule je ne peux plus pomper le sang assez vite pour renouveler efficacement l’approvisionnement en oxygène, et il me faut sortir avant qu’il ne me bouche.

La trappe

par Alain Lasverne

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Ecrabouillé

par Gérard Lacoste

D’après eux, ça pouvait s’arranger. Une rude partie, vu le terrain concédé à l’adversaire, mais c’était jouable. En fait, les zones d’ombre permettaient tous les espoirs. C’était un peu l’art et la manière d’inter- préter un flou artistique. On n’y voit rien disent certains, il faut imaginer disent les autres. Question d’appréciation.

Gymnase

par Frédéric Lefebvre

Georges Moustaki est pongiste, c’est bien connu. Pongiste amateur. Il aime la vie et le tennis de table. C’est à peu près la même chose.

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