Le rêve sans fin

Efferhorn

par Marc Petit

Les uns disent qu’Efferhorn s’enferma dans sa maison par crainte d’une attaque chimique ou bactériologique ; les autres, que, frappé de mélancolie à la suite de la mort de sa femme, il décida de ne plus sortir de sa demeure et d’y vivre reclus comme au fond d’un tombeau.

Effet secondaire

par Eric Faye

De l’avis général, Vincent M. avait au bureau un comportement plutôt effacé et il fournissait un travail irréprochable, quoique sans zèle. Surtout, en dix-sept ans de « boîte », il n’avait jamais fait preuve d’ambition – cela jusqu’à son arrêt maladie.

La brocante mystique

par G.-O. Châteaureynaud

Courir les brocantes, ça n’était pas mon genre. Je n’ai jamais eu le goût des vieilles choses. Je n’aimais que le neuf, le vierge, au point de changer de voiture tous les deux ans, et de mobilier tous les cinq ou six ans, puisque l’argent n’était pas un problème.

Le jour où j’ai su que je n’étais pas humain

par François Coupry

Depuis ma jeunesse, j’aurais dû me douter de mon étrangeté : je déteste le football, à l’école je n’aimais pas les séances de sport et les récréations, j’étais premier en mathématiques, en anglais, en allemand et en philosophie, je ne supporte pas les conversations futiles, je ne suis jamais allé en boîte de nuit, j’ai peur dans les voitures qui roulent trop vite, je n’ai jamais écouté les Beatles, Elvis Presley, le groupe Tarabanda, ni aucune musique de variétés, je n’entends que du Stockhausen, du Xénakis ou du Nono, j’utilise très peu Internet, les téléphones portables ou les smartphones, je ne peux apprécier que des films en noir et blanc, en particulier quand ils sont muets, et surtout je ne rêve jamais.

Cendres

par Anne Mulpas

Numéro 97 – porte D. L’homme se lève. Il a troqué son ticket 93 contre le 94 puis le 94 contre le 95 et ainsi de suite jusqu’à ce que son numéro corresponde à la lettre et donc au bureau qu’il désire.

Sauver ma peau

par Sylvain Jouty

Bien des années s’étaient écoulées depuis mes premières aventures aux pays évanouis. J’avais vieilli, j’avais surtout la nostalgie de ces contrées inouïes et souhaitais encore en connaître de nouvelles avant que l’inéluctable déréliction de l’âge ne me l’interdise ; peut-être même avais-je l’intuition que j’allais y terminer mes jours.

Le Cercle d’eau

par Guyette Lyr

Je suis le voyageur et j’ai vu bien des pays. Des pays de sable et de pierres, de vent et de sel, mais celui dont je veux vous parler ne ressemble à aucun autre, la brume s’y plaît tant qu’elle le couvre parfois jusqu’à midi et quand elle s’écarte, il faut patienter avant de pouvoir se reconnaître. Quand je suis arrivé à Sellières, l’unique village de la presqu’île de Meursault, j’étais loin de me douter que ce lieu et ce paysage ne me laisseraient plus jamais en paix.

La secte des badasses

par Jean-Marie Blas de Roblès

Si les poissons des grandes profondeurs voulaient rendre compte des chutes de matière animale venant de la surface, comment s’y prendraient-ils ? Essaieraient-ils seulement de le faire ? Si je pose la question, c’est qu’il est bien tentant de définir l’homme comme un poisson des grandes profondeurs. (…) Je crois qu’on nous pêche. Peut-être sommes-nous hautement estimés par les super-gourmets des sphères supérieures. Je suis sûr que bien des filets ont traîné dans notre atmosphère, et ont été identifiés à des trombes ou à des ouragans. CHARLES FORT

Sidi Ifni les décadents ou “mon corps Peul ”

par Laure Fardoulis

Ma première vision de Sidi Ifni fut cette rue au bord du ciel avec son unique balustrade peinte en bleu et blanc. Plus tard, penchée sur cette même balustrade, je verrai enfin la mer et l’abîme qui m’en séparait.

Le dit des sept arbres

par Jean Claude Bologne

Le brouillard sommeillait sur la montagne. La cime ne se devinait plus qu’à sa courbure d’un gris plus soutenu, qui se fondait à la poussière de l’air, à la cendre du sol. Un buisson desséché y dessinait des griffures d’encre de Chine sur un lavis maussade. L’heure était figée, elle avait oublié son petit trot de secondes qui lui servait, jadis, à mesurer le temps. Et voilà que le monde se remettait en marche avec un bruit de pas.

La manne chimérique

par Hugues Simard

Lorsque je me promène à l’ombre bienfaisante des colonnes gothiques de l’ancienne nécropole mérovingienne que fut l’église de Saint-Germain-des-Prés, mes sens sont toujours happés par cette invincible illusion – mais en est-ce réellement une ? – que leur pierre subit une poussée en tout semblable à celle du végétal.

Hptel

par Christine Balbo

Le taxi déposa Laeta Loquax devant l’entrée de l’hôpital. Tout le long du parcours elle avait feint de ne rien détailler. La route, elle la connaissait, on passait par le petit chemin de Saint-Martin qui longeait la voie express, puis, après le rond-point, on filait tout droit sur le centre commercial. Au-delà, il n’y avait rien. Des champs en friches où proliférait l’ambroisie s’étalaient jusqu’aux bâtiments de l’université. On appelait ce no man’s land « la coulée verte ».

Une dent contre la mort

par Tristan Felix

Un chien traverse le canal en diagonale, ivre d’eau. Au pied des immeubles, l’air sent l’aisselle. On ne sait rien sur la lumière car personne encore ne la retient sur sa peau.

La cavalière sous le fleuve

par Jean-Dominique Rey

Dans sa chevelure il y avait mille plis, de minuscules boucles qui ressemblaient à des rubans, quelques torsades légèrement vénitiennes sur un visage assez blanc, on y cherchait en vain des taches de rousseur, on y trouvait de grands yeux bien arqués sous les paupières et qui vous regardaient avec autant de sourire que de surprise. De grands yeux qui parlaient avec douceur mais plus de certitude que la voix, elle presque confuse et dénuée d’éclats, une voix faite pour les murmures, pour les mots glissés à l’oreille comme un léger bruit de source.

Les noix de coco

par Gary Victor

Je vais bientôt subir le sort des noix de coco. J’en aperçois partout, dans la cuisine, dans la salle à manger, dans la bibliothèque et même sous la véranda.

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