Jaccottet, Boschère, Proust, Métraux, Ortega y Gasset...
La vie numérique
Journal littéraire
Lettres inédites à Alfred Baudrillart
Que le poète se confie au prêtre, quoi de plus naturel ? Ils ont ensemble d’être voués au verbe. L’adhésion à l’invisible, une forme de rapport sacerdotal à une langue ritualisée, solennisée, associent étroitement les deux vocations : on sait que Claudel a été tenté par le sacrifice complet de sa personne, tant il était fasciné par la psalmodie monastique. En 1906, à l’issue de sa crise chinoise, à la fois mystique et amoureuse, le poète se marie et se confie à un directeur de conscience dont la renommée et l’envergure scientifique l’impressionnent. Il s’agit du père Alfred Baudrillart. Oratorien, professeur à l’Institut catholique de Paris, il en devient le recteur en 1907. Il a le talent de lire dans l’âme de cet homme et d’en apprécier l’œuvre. Il suscite sa confiance et recueille ces marques d’affection qui, sous la forme de lettres, sont parvenues jusqu’à nous pour former comme la trame de près de trente années d’écriture et d’action diplomatique. Dans ces quatorze lettres inédites, Claudel écrit d’abord depuis Tien-Tsin. L’histoire de sa relation avec Rosalie Vetch est connue, nous n’y ajouterons rien ici. On voit cependant les déchirements de la passion s’éteindre à grand-peine, l’orgueil d’un auteur conscient de sa valeur, ses débats de conscience....
Pour une stratégie de “stabilité compétitive”
Ancien président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet est gouverneur honoraire de la Banque de France. Il a été directeur du Trésor de 1987 à 1993, gouverneur de la Banque de France de 1993 à 2003, et président de la Banque centrale européenne de 2003 à 2011.
50e anniversaire du traité de l’Élysée : entre bilan exemplaire et avenir incertain
Le cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée a donné lieu, avant même sa date officielle, à de nombreuses manifestations communes- de François Hollande et d’Angela Merkel dans des lieux de mémoire de la relation bilatérale : Reims, où le général de Gaulle et le chancelier Adenauer avaient scellé la réconciliation franco-allemande, Ludwigsburg, où le général de Gaulle avait prononcé son célèbre discours à la jeunesse allemande. L’empressement des lointains successeurs du général de Gaulle et du chancelier Adenauer à reprendre les mêmes mots, à cultiver les mêmes gestes est assurément un bon signe, puisqu’il illustre la permanence de la relation bilatérale. Il y a aussi dans cette volonté de François Hollande et d’Angela Merkel de coller d’aussi près au passé, peut-être l’inquiétude de ne pas être à la hauteur, sans doute le sentiment de la difficulté à renouveler la geste...
Pourquoi cette crise de l’autorité ?
Mesdames et messieurs, je vais essayer, modestement, de vous dire quelles sont mes convictions dans le champ de compétences qui est le mien. Je ne doute pas qu’à travers vos différentes questions, nous pourrions aborder d’autres sujets. Si certains veulent parler d’économie, de la compétitivité de nos entreprises, de coût du travail, de fiscalité, de fiscalité sur le patrimoine, de croissance, d’Europe, je les renvoie à tout ce que j’ai dit pendant les primaires, à mes différents ouvrages, aux articles que j’ai pu publier...
Les nouvelles frontières de la culture. De l’invasion à l’invention numérique
Le monde culturel vit un changement de civilisation. L’empire numérique submerge aujourd’hui le monde de la culture, mettant fin à l’immémorial règne analogique. Ce fut d’abord le cas du secteur de la musique où rapidement le numérique, par l’intermédiaire du CD (compact disc) en 1982, prit les commandes. Puis avec le MP3, une norme de compression sonore permettant la diffusion et le téléchargement sur Internet, puis le peer-to-peer pour les échanges de fichiers, YouTube, le streaming… Pour le cinéma, ce fut d’abord la postproduction, le montage et les effets spéciaux, la motion capture, la performance capture, ensuite sur le tournage les cartes numériques remplacèrent la pellicule argentique et, enfin la projection en salles désormais numériques accélérée par l’émergence de la 3D, et la diffusion sur Internet…
Entretien - Je salue l’arrivée de l’individu !
Revue des Deux Mondes – Considérez-vous l’avènement du numérique comme une libération ? un élargissement du savoir ? un nouvel humanisme ? En quoi cette technologie change-t-elle notre perception du monde ? Michel Serres – La grande différence, c’est la notion d’accès. Le numérique donne un nouvel accès au monde. Prenons une jeune fille de notre époque : je l’appelle Petite Poucette (1), car elle utilise ses pouces pour envoyer des messages. Elle a découvert le sens profond du mot « maintenant », qui veut dire littéralement : « tenant en main ». Que tient-elle ? Trois choses. D’abord les autres, puisqu’elle peut joindre qui elle veut quand elle veut. Selon le « théorème du petit monde » issu des mathématiques, il suffirait statistiquement de sept appels pour pouvoir joindre n’importe qui dans le monde. Or, depuis l’instauration des réseaux numériques ce nombre est tombé à 4,35. L’espace dans lequel Petite Poucette vit est assez petit pour tenir en main le monde en seulement quatre appels, ce qui est fantastiquement nouveau. C’est en ce sens qu’elle peut dire : « maintenant », tenant en main le monde....
Le plus grand musée du monde
La musique, une industrie mutante
La musique est le premier domaine de la culture à avoir été touché par la vague Internet. Quelques années avant le cinéma, et une décennie avant la littérature. La vague a submergé des digues, comme le droit d’auteur, et emporté toute une économie. Elle a chamboulé un modèle, celui des maisons de disques, nées dans les années cinquante aux États-Unis. Et ces dernières se demandent bien comment faire aujourd’hui pour gagner leur vie en commercialisant les créations des artistes. En dix ans, le chiffre d’affaires de la musique enregistrée en France a chuté de 60 %. Alors qu’il s’était vendu pour 1,35 milliard d’euros de CD en 2003 en France, l’an dernier la musique n’a représenté que 620 millions d’euros, téléchargements sur Internet compris. Les ventes de musique en France sont aujourd’hui trois fois inférieures à celles de livres et deux fois inférieures à celles de jeux vidéo. Les revenus des artistes, eux, ont suivi la même pente...
Les eaux glacées du crime organisé
Avec Un pouvoir invisible, livre novateur sur la mafia, Jacques de Saint Victor répond à une question majeure et pourtant fort délicate à trancher : de quoi le crime à l’ère post-guerre froide est-il le nom ? Pour le savoir, le lecteur exigeant a peu de solutions à portée de main. S’il est anglophone ou italophone, par exemple, il aura à sa disposition une littérature à la fois abondante et de qualité. Les excellents ouvrages ne manquent pas. Il pourra, au gré de ses préférences, opter pour des études savantes relevant de la sociologie, de l’histoire, voire de l’économie politique. Il pourra aussi, sans même déroger et sans honte, lire de très bons récits journalistiques. Le lecteur francophone a moins de chance. Les rayons de nos librairies, en ligne ou en dur, sont maigres d’ouvrages dignes de ce nom traitant du crime...
Donizetti et Chostakovitch
On riait de bon cœur et applaudissait à tout rompre le soir de l’entrée au répertoire de Bastille de la Fille du régiment, ouvrage français de Donizetti, créé à l’Opéra-Comique (salle des Nouveautés, place de la Bourse) le 11 février 1840. Il faut dire que ses interprètes étaient de tout premier ordre et que la production – montée pour Natalie Dessay en 2007 à Covent Garden, puis reprise à New York, Vienne, San Francisco et Barcelone – est l’une des plus réussies que l’équipe réunissant Laurent Pelly (mise en scène, costumes), Chantal Thomas (décors) et Agathe Mélinand (dramaturgie, réécriture des dialogues) nous aient données ces derniers temps. L’action, censée se dérouler au Tyrol sur fond de guerres napoléoniennes, a été transposée à l’époque de la Grande Guerre avec, en guise de montagnes, les plis de gigantesques cartes d’état-major tapissant la totalité du plateau...
À la recherche des voix perdues
Le marketing a encore frappé. En musique classique, la première réaction est de s’agacer. Que veut dire ce titre : Mission ? Et cette étrange photo de Cecilia Bartoli affublée d’un crâne chauve ? La notice, à la fois luxueuse et farfelue, décrit une manière d’enquête historico-policière à la recherche d’un compositeur oublié sous la plume de l’écrivain Donna Leon, qui lui a consacré par ailleurs un livre. Mais derrière cet habillage curieux se cache un disque superbe que la célèbre mezzo italienne consacre à Agostino Steffani (1654-1728), prêtre, diplomate, agent secret et musicien, dont l’œuvre ne nous était pas tout à fait inconnue grâce à quelques disques instrumentaux ou vocaux. C’est cependant la première fois qu’un CD (1) regroupe vingt-cinq airs et duos (dont vingt et un inédits) extraits des dizaines d’opéras laissées par ce James Bond en soutane du XVIIIe siècle. Et par-delà le « Cluedo » de la notice, on découvre un solide compositeur lyrique, sans doute l’égal sur ce plan de Vivaldi et de Scarlatti et annonçant la grandeur de Haendel...