Un nouveau théâtre politique

Bizub, Le Bihan, Gillet, Guilbert, d’Azay, Zorgbibe, Boddaert...

par Michel Crépu

1. Edward Bizub, Beckett et Descartes dans l’œuf. Aux sources de l’œuvre beckettienne : de Whoroscope à Godot, Classiques Garnier, 298 pages, 29,41 euros. 2. Adrien Le Bihan, James Joyce travesti par trois clercs parisiens, Cherche Bruit, 2011, 128 pages, 12 euros. 3. Louis Gillet, Essais et conférences sur l’art. De Giotto à Matisse, édition établie, annotée et présentée par Eryck de Rubercy, Klincksiek, 1 051 pages, 56 euros. 4. Adrien Le Bihan, « Bernanos et Majorque » in Revue des Deux Mondes, ­octobre-novembre 2008. 5. Cécile Guilbert, Réanimation, Grasset, 272 pages, 18 euros. 6. Lucien d’Azay, A Sentimental Journey (Voyage à travers Chaillot et Passy), ­Climats, 1995, 116 pages, 10,70 euros. 7. Charles Zorgbibe, le Choc des empires, Napoléon et le tsar Alexandre, De Fallois, 416 pages, 24 euros. 8. François Boddaert, Dans la ville ceinte, Le Temps qu’il fait, 297 pages, 18 euros. 9. Charles. Le gouvernement des écrivains, n° 1, printemps 2012, La Tengo, 194 pages, 16 euros.

Reconnaissance à Hector Bianciotti

par Eryck de Rubercy

À l’instant, j’apprends la mort à Paris d’Hector Bianciotti, le 12 juin, à l’âge de 82 ans. Cette nouvelle à laquelle mon esprit était préparé, car depuis plusieurs années la maladie avait mis un point final à son œuvre, me laisse, pourtant, douloureusement saisi du fait même que j’eus le plaisir à plusieurs reprises de rencontrer l’homme. Mais point n’est besoin de paroles attristées, son œuvre est là ; une œuvre dont on n’a pas encore aujourd’hui mesuré ni reconnu toute l’importance, car elle jette une sorte de défi à une certaine littérature qui se débilite à ne plus vouloir dépasser de petites misères et de médiocres soucis tout en pâtissant de l’appau­vris­sement de son instrument, la langue française...

Remarques sur la situation de la France à quelques jours de l’élection présidentielle

par Laurent Fabius

Discours prononcé par Laurent Fabius, lors du dîner du Cercle de la Revue des Deux Mondes le 11 avril 2012. "Mesdames et messieurs les ambassadeurs, mesdames et messieurs les ministres, chers amis, cela me fait plaisir d’être parmi vous. Je dois commencer par une confidence : l’élu que je suis depuis des temps immémoriaux a dû sacrifier ce soir, pour la Revue des Deux Mondes, sa présence à la demi-finale de la Coupe de France de football entre Quevilly et Rennes. Vous voyez ce que cela représente ! J’ajouterai, pour ne pas être hypocrite, qu’il s’agit de Petit-Quevilly et que moi je suis de Grand-Quevilly !..."

Carnets de route: La Grèce, de justesse, se maintient dans la zone euro

par Renaud Girard

Le dimanche 17 juin au soir, toutes les capitales européennes poussèrent un soupir de soulagement. La Grèce avait majoritairement voté pour des partis ouvertement proeuropéens aux élections législatives. Mais pourquoi la formation du nouveau gouvernement a-elle pris plus de soixante-douze heures, alors que tous les Grecs, président de la République en tête, s’accordaient à dire qu’il y avait urgence, en raison de la proximité du sommet européen du 28 juin 2012, crucial pour l’avenir économique du pays ?...

Une si chère grèce !

par Jean-Yves Boriaud

Au contribuable qui se cache derrière tout citoyen européen responsable, les médias apportent complaisamment le moyen de chiffrer ce que lui coûte son soutien involontaire aux défaillantes finances grecques. Et le citoyen européen trouve ça cher, ce soutien à une République qui serait celle de tous les laxismes budgétaires, et ne devrait son statut européen qu’à une lubie d’un ancien président de la République française… Cela relayé par des images récurrentes de violentes fins de manifestations, place Syntagma, alternant avec de très belles vues de jeunes journalistes de la télévision aux longs cheveux bruns, vues sempiternellement tournées, au crépuscule, sur le parvis du nouveau musée de l’Acropole, avec, en toile de fond, légèrement floutée, la silhouette d’un Parthénon doucement illuminé, comme pour faire honte au peuple hellène de son actuelle déchéance. Sans compter les interviews véhémentes et catastrophistes de Grec(que)s parfaitement francophones et percuté(e)s de plein fouet par la rigueur imposée par la « troïka » (Union européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne). Nous payons peut-être « cher » notre contribution à l’équilibre (?) financier du pays, mais que le contribuable européen se rassure : ce n’est rien à côté de ce qu’endure le Grec moyen...

L’art de réformer

par Alain Bienaymé

Nos sociétés se transforment sous l’influence de trois forces dominantes. Par la multitude des progrès techniques qui diffusent leurs effets dans la vie quotidienne : le vieillissement des populations en offre un exemple. Par la convergence des décisions individuelles qui répondent aux incitations et aux aspirations collectives du moment : par exemple l’urbanisation des territoires, la part croissante que les femmes occupent dans les emplois rémunérés. Enfin, par la volonté réformatrice des acteurs de la vie politique. Les deux premières tendances agissent de manière irrésistible, et peuvent rester longtemps inaperçues. Comme l’exprima le philosophe anglais Alfred North Whitehead : « La civilisation avance en accroissant le nombre des opérations importantes que nous pouvons accomplir sans y penser. » Vient un moment où la société se saisit des problèmes que ces tendances ne manquent pas de soulever : la réforme des retraites que le vieillissement démographique impose ; les réformes foncières qu’une urbanisation anarchique appelle...

La bataille de l’eau

par Annick Steta

Longtemps gaspillée, l’eau douce est devenue rare. La proportion d’êtres humains vivant dans des pays où le manque d’eau est chronique devrait atteindre 45 % en 2050 contre 8 % au tournant du XXIe siècle. Près d’un milliard d’individus font face à des difficultés d’approvisionnement en eau et 2,6 milliards vivent sans système d’évacuation des eaux usées (1). Alors que la demande d’eau douce explose, son offre est limitée. L’eau douce ne représente que 2,5 % des masses d’eau présentes à la surface du globe terrestre. Or elle est emprisonnée à hauteur de 70 % dans les calottes polaires, les glaciers et le permafrost. Seul 0,75 % de l’hydrosphère est donc constitué d’eau douce à l’état liquide.

Rire du socialisme actuel en compagnie de Jules Michelet

par Marin de Viry

Les éditions Perrin ont l’excellente idée de publier le Dictionnaire Michelet, sous-intitulé Un voyage dans l’histoire et la géographie françaises (1). En ce temps de crise où chacun, selon son idiosyncrasie particulière, cherche un refuge mental, une immunité contre la décadence, je relis Michelet. Et le rire monte, quand je compare les analyses et l’état d’esprit d’un homme que l’on classe à gauche, mort en 1874, avec celui, mettons, d’un militant socialiste qui soutient le gouvernement de François Hollande. On pourrait facilement faire le même exercice avec Jaurès, d’ailleurs, et mon propos n’est pas de faire honte à la gauche d’avoir évolué, mais plutôt de la mettre en face de ses ancêtres – exercice que recommandait vivement Michelet lui-même, pour qui l’oubli était le plus sûr moyen de perdre le sens de tout – et de se colleter avec une pensée qui n’avait pas nos fausses pudeurs, notre passion de l’euphémisme, notre névrose victorienne de vertu, et qui met son point d’honneur à éviter l’observation des faits....

Roberto Peregalli : de l’impermanence des choses et des lieux

par Eryck de Rubercy

Ll n’est pas si fréquent qu’une sorte d’entente s’établisse d’emblée entre un livre, qui ne soit pas un roman, en l’occurrence un essai, et son lecteur ; et cela, de la première à la dernière page. D’abord on se sera informé de son contenu par la lecture de sa quatrième de couverture, chargée d’en dire le plus essentiel – « un essai sur la beauté d’un monde qui disparaît » – quand elle n’en intègre pas un extrait : « Ce livre parle de la nostalgie qui se saisit des objets et des lieux, il parle de l’incurie de l’homme pour son destin, il parle de la violence qu’exerce la technologie moderne sur nos lieux et notre monde, des promenades silencieuses sur un chemin de campagne, des cours abandonnées, de la pluie qui coule sur les vitres. Les pauvres choses témoignent d’un monde perdu, leurs traces à peine visibles forment la trame de notre vie. »...

Le centre disparu. De 1789 à la Première Guerre mondiale

par Jean-Paul Clément

« La Révolution arrivée, le poète s’engagea dans un de ces partis stationnaires qui meurent toujours déchirés par le parti du progrès qui les tire en avant, et le parti rétrograde qui les tire en arrière.  » ( Chateaubriand à propos de Louis de Fontanes, grand-maître de l’université de Napoléon, Mémoires d’outre-tombe, livre XI, chapitre iii.)

Les deux populismes

par Jacques de Saint Victor

À la veille des guerres de religions, Étienne de La Boétie écrit que la France se transforme sous ses yeux en une « République démembrée », où la volonté de vivre ensemble commence à faire place à une « malveillance quasi universelle » (1). Mutatis mutandis, la France de 2012 est apparue, lors de l’élection présidentielle, comme une République plus « démembrée » que jamais (tout au moins depuis la fin du conflit algérien), avec la lacération du territoire politique, coupé entre une France de l’Ouest très majoritairement modérée et une France de l’Est marquée par de fortes tensions liées soit à la désindustrialisation (Nord-Est), soit aux difficultés sociales et ethniques, dans un contexte de blessure post-coloniale mal cicatrisée et qui semble s’être rouverte depuis quelques années (Sud-Est).

Droite : que faire ?

par Alain-Gérard Slama

Que doit faire la droite ? Le premier tour de l’élection présidentielle a démontré que, si l’on y inclut les voix du Front national, elle est majoritaire dans le pays. Au soir du 22 avril, le total du nombre de voix obtenues par les droites était de 57 %. Le total des voix de la gauche était de 43,76 %.

Entretien avec Angelo Rinaldi

par Eryck de Rubercy

Romancier, critique de profession ... C’est que la critique doit être subjective, nous a affirmé Angelo Rinaldi au cours d’un entretien, où nous lui avons demandé de s’expliquer sur le rôle de celle-ci, mais si subjective que soit sa tournure, elle possède toujours, selon lui, un accent de réalité, de vérité, qui la met en mesure de rejoindre un courant « dont témoigne éventuellement la rubrique du courrier des lecteurs ». Ainsi est-il bien rare que les mérites et les défauts d’un auteur ne soient pas aperçus en même temps par d’autres lecteurs que le critique.

Louis Gillet, écrivain d’art

par Véronique Gerard Powell

La redécouverte de l’œuvre critique de Louis Gillet (1876-1943) avance à grands pas. Elle a commencé avec la réédition, préfacée et annotée par Olivier Cariguel, de Stèle pour James Joyce. Ce recueil, publié en 1941, réunit trois articles dans lesquels Gillet, d’abord sceptique – comme le reste de la critique française –, puis convaincu du génie littéraire de l’écrivain irlandais, devenu un ami personnel, analyse avec force et finesse la nouveauté radicale d’Ulysse et de Finnegans Wake.

Jean José Marchand, critique et homme-bibliothèque

par Olivier Cariguel

Une fois n’est pas coutume, nous avons préparé notre article dans la salle de bains. Non pour lire aux cabinets (bien que Henry Miller nous y encourage dans un petit livre très drôle sur le sujet) mais pour chercher une balance, qui n’est pas un auxiliaire particulièrement prisé par les critiques littéraires ou les journalistes. Quatre kilos ! Tout rond, indique l’aiguille ! Un excellent chiffre de nouveau-né.

Mandelstam

par Frédéric Verger

Un récit peut-être légendaire des derniers moments au goulag d’Ossip Mandelstam raconte qu’un peu avant sa mort un paysan, un apiculteur, s’occupa de lui et l’aida à se nourrir alors qu’il n’en avait plus la force. Pour un lecteur de Mandelstam, il y a là un détail plus qu’émouvant, l’irruption bouleversante dans la vie d’un motif de sa poésie, une scène semblable à ces tableaux de Dante où l’on ne sait plus lequel du monde réel ou du rêve poétique est l’allégorie de l’autre.

Laurent Le Bon au Centre Pompidou Metz

par Robert Kopp

Laurent Le Bon est un homme heureux. Sa bonne humeur est contagieuse. Son ironie met tout à distance. Il fourmille d’idées et tout lui réussit. Qui ne se souvient de la grande exposition Dada à Beaubourg en 2005 ? Des nains de jardin à Bagatelle ou de Jeff Koons à Versailles en 2008 ? Les premiers dans le parc, le second au château (les deux événements participant peut-être de la même dérision).

De Rameau à Marco Stroppa

par Mihaï de Brancovan

Belle fin de saison à l’Opéra de Paris avec de nouvelles productions d’Hippolyte et Aricie et d’Arabella. Dernier des six ouvrages nés de la collaboration de Richard Strauss avec Hugo von Hofmannsthal, Arabella (1933) n’avait connu jusqu’ici, à l’Opéra, qu’une seule série de représentations : c’était en 1981, au palais Garnier, écrin idéal pour cette comédie douce-amère, où le chant est souvent synonyme de conversation en musique.

Ces chers disparus : Leonhardt et Fischer-Dieskau

par Jean-Luc Macia

Les derniers mois auront vu la disparition de deux immenses figures de la musique qui ont marqué la seconde moitié du XXe siècle. Ils ne fréquentaient pas vraiment les mêmes répertoires mais ont changé, chacun à sa manière, notre vision de multiples œuvres et de leur interprétation...

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