Ce pourrait être une invitation au voyage dépouillée de tout exotisme, cette «notion mesquine et peureuse qui réduit l’autre à un pittoresque ». Ces «visites d'idées» formulées en 1995 (Il n'y a pas d'Indochine), Charles Dantzig les a relues et y a ajouté quelques brèves notes ainsi qu'une préface inédite. Tout Dantzig est là. Déjà. Le sens aigu de l’observation, le verbe corrosif, le don de la formule et de l’aphorisme, le maniaque capricieux épris de listes, l’insatiable lecteur et l’érudit vire- voltant. Pour une œuvre de jeunesse, voilà qui était prometteur.
Alberto Nessi
Entretien avec Charles Dantzig
Art désincarné et emprise du marché
Dans un article d’opinion, l’écrivain Jérôme Meizoz s’interroge sur la «désin- carnation» de certaines propositions d’art contemporain et pose l’épineuse question de l’emprise du marché sur la création actuelle.
La pause de Décapage
Proposée en partenariat avec la revue littéraire Décapage (Éditions Flammarion), la présente rubrique reprend à l’intention de nos lecteurs les notes de lecture que Jean-Baptiste Gendarme (texte) et Alban Perinet (illustration) proposent sur leur site La Pause de Décapage.
Une autre façon de resplendir: Philippe Jaccottet dans la Pléiade
Au firmament des poètes, le voici qui s’élève et rayonne, enfin, aux côtés de Hölderlin, de Novalis, de Rilke – ses maîtres révérés – et de son ami Francis Ponge. Oui, Philippe Jaccottet prend désormais place parmi les écrivains classiques : depuis peu, son œuvre resplendit sous les reliures en cuir dorées de la Bibliothèque de la Pléiade.
Charles-Ferdinand Ramuz, une œuvre complètement rénovée
C’était le «chantier Ramuz». Une quarantaine d’ouvriers, une vingtaine d’années de labeur et un budget équivalant à la construction d’une villa au bord du Léman : il n’en fallait pas moins pour que l’écrivain vaudois rejaillisse dans le paysage littéraire suisse et français, et s’y inscrive durablement comme auteur de premier ordre. Après la publication de deux volumes de romans dans la Bibliothèque de la Pléiade, les Œuvres com- plètes imprimées aux Éditions Slatkine se sont closes sur un vingt-neuvième volume.
“Art de l’égarement” au hasard des solitudes
Ce livre, qu’on ne peut qu’appeler livre, car lui donner un nom plus déterminé serait endiguer les richesses de l’inclassable, on ne le quitte pas serein et repu. Manifeste incertain 2 est à la hauteur de son titre. On ne le ferme pas avec la sensation satisfaite d’avoir suivi un parcours complet et cohérent, le long d’un fil rouge solide et bien tendu. D’abord, le fil n’est pas rouge, il est noir. Ensuite, il n’est ni solide ni bien tendu. C’est un faufil, qui coule et se déroule sur son fond blanc en dessins et en mots déliés. Un fil qui est fait pour se défaire et qui, par moments, ne se défait même pas. Il forme de grosses pelotes de sens ou d’ombres. Ou alors un tas de nœuds, semblable à l’esprit emmêlé dans sa propre densité de Walter Benjamin, personnage phare de Pajak, emmêlé dans sa propre densité. Un tas de nœuds qui flotte dans le dédale des caniveaux de Paris, sans parvenir à trouver l’issue de la capitale inextricable.
L’art protéiforme de Gustave Doré
« je suis humilié de ne compter pour rien dans mon pays » avait laissé tomber Gustave Doré alors qu’une nouvelle fois ses toiles ne recevaient pas au Salon la reconnaissance qu’il estimait devoir leur être rendue. Même si ce dépit est causé par le rejet – longtemps durable – de sa peinture (pour ne pas parler de sa sculpture), on comprend mal une telle réaction chez un artiste qui, via l’illustration, amplifiée grâce au développe- ment du livre à l’ère industrielle et à la reproduction par la xylographie, connut une gloire internationale, fut introduit dans les sphères mondaines où il fréquenta toutes les célébrités du temps, eut pour maîtresses chanteuses lyriques, artistes dramatiques et « grandes horizontales » qui faisaient la réputation des salons parisiens.
De la Pastorale au Complot: plongée dans les tréfonds américains
C’est un gros livre. Lourd. Souple. Le papier est très fin, la police d’écriture étroite et dense. C’est donc à une course interminable le long des lignes que se prépare l’œil du lecteur. L’Amérique de Philip Roth semble à l’ouverture une épopée de longue haleine où il s’agira de se retrouver chez soi à la fin «heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage» après avoir écorné les pages le long d’une lointaine et fictive route qui nous aurait bringuebalés à travers les USA, jusqu’à ce qu’on y sente l’éreintement serein du voyageur qui a tout vu et se dit, enfin, que ce territoire pourrait s’appeler « home ».
Une imagination sans histoire(s)
« Kamazh ār khem » : « Le Livre des Rêves ». Langue berbère ? Forme archaïque d’ouzbek peut-être? Que nenni, ces sonorités rêches appartiennent à un autre royaume: ce sont celles du wardwesân, l’idiome des Wards, peuple imaginé par un amoureux des langues. Frédéric Werst nous livre avec Ward, IIIe siècle, deuxième tome d’une anthologie de la littérature des Wards, un ouvrage très complet, aux réalisations paradoxalement plus linguistiques que littéraires.
Charbon et ata[visme littéraire
Héritage consenti du cycle des Rougon-Macquart, Noces de charbon peut se lire comme une version moderne et allégée du romanesque d’Émile Zola. L’auteure y retrace en effet les trajectoires héréditaires et sociales de deux familles qui gravitent autour du monde de la mine. Contrairement à l’œuvre naturaliste de Zola, la visée de Sophie Chauveau n’est pas de saisir les dyna- miques humaines et génétiques à travers des descriptions ultra-réalistes, mais de peindre les destins aussi bien ordinaires que remarquables de ses aïeux, avec pour dessein de mieux se comprendre elle-même.
Un trésor d’orfèvrerie médiévale suisse à Paris
Dans le hall du Louvre, un saint Candide immense nous scrute de son œil sévère et scep- tique. Il annonce l’exposition du trésor de l’Abbaye de Saint-Maurice d’Agaune. Ainsi, après le peintre vaudois Félix Vallotton l’an dernier, l’orfèvrerie médiévale du Valais prend le chemin de Paris. Et comme le veut la longue tradition romande, ce pèlerinage lui donne soudain une nouvelle notoriété, non seulement en France, mais surtout aussi en Suisse même.
Gerhard Richter, le choix d’un connaisseur
Dans l’attente de l’exposition que lui consacrera cet été la Fondation Beyeler, le Kunstmuseum de Winterthour ouvre ses portes au peintre de Dresde pour une double exposition. En présentant à la fois ses créations les plus récentes et une rétrospective de son œuvre graphique, Dieter Schwarz effectue un choix de connaisseur et livre un commentaire avisé sur l'un des artistes les plus en vue de l’après-guerre.
Redon, pape des flous!
En 2011, la France a consacré au girondin discret mais non moins capital que fut odilon redon une même grande exposition, en deux étapes, à Paris et Montpellier. qu’ajouter aujourd’hui, si peu de temps après, à cette célébration majeure? Conformément à sa politique d’expositions, la Fondation beyeler continue d’explo- rer avec méthode les marges de sa période de prédilection, à savoir le xxe siècle au sens large. Il lui arrive en effet d’accueillir de l’art très contemporain (dont cer- taines œuvres ont vu le jour après le décès du père fondateur Ernst Beyeler), comme ce fut le cas avec Thomas Schütte dernièrement, et, à l’autre extrémité, il lui arrive de s’aventurer étonnamment loin dans le xIxe siècle, pour évoquer des artistes qui furent des précurseurs et des prémisses des grandes révolutions picturales qu’on a l’habitude de montrer entre ces murs.
Charlemagne, la Suisse et l’Europe
Depuis sa mort en 814, l’empereur Charlemagne est resté une figure majeure de l’histoire euro- péenne. Maître de la plus puissante entité politique d’Europe occidentale, parrain de nombreuses réformes politiques et intellectuelles, protecteur de la culture, de la science et de la religion chrétienne, chef de guerre redoutable, Charles le grand parachève son œuvre en se faisant couronner empereur en 800, des mains d’un pape en son pouvoir.
Alberto[ Nessi
Né en 1940 dans l’extrême sud de la Suisse, à Mendrisio, là où l’Italie n’est jamais loin, juste quand l’Europe allait sombrer dans une de ses périodes les plus noires, Alberto Nessi est une référence de la littérature tessinoise depuis bientôt un demi-siècle, et l'un des plus lus en dehors des frontières cantonales – au nord des Alpes, tout comme chez le grand voisin de même langue.