C'était mieux avant, même s’il n’y avait pas de liberté, regrette le vieux Kurde Hamo devant le délabrement de son Arménie post-soviétique. Paroles quelque peu nostalgiques du retraité vivant de sa maigre pension de quelques dollars, amertume à laquelle se joindront les larmes que lui procurera son fils vivant à Alfortville en lui réclamant de l’argent au lieu de lui en envoyer. L’avenir dans ce village montagnard enfoncé dans la neige s’annonce ainsi des plus sombres : l’exil d’un fils en France est une désillusion pour le père, tandis que l’on doute des chances du second fils de trouver du travail à Erevan, la capitale.
Le pays en question
Vodka Lemon
La chevauchée fantastique
Is this the face that wrecked a thousand ships… ?, déclamera Doc Boone, au début du fi lm, face à la logeuse courroucée qui l’expulse. Convoquant le paradigme de l’épopée grecque, le médecin alcoolique, emblème mélancolique du film, ironise quant à la ressemblance improbable entre la figure de la logeuse courroucée et fort peu avenante, et celle de la Belle Hélène, indiquant de la sorte le point d’où Stagecoach nous parle : celui d’où l’on prend la mesure de l’écart entre la situation de l’Amérique et les promesses de son épopée. Partant de ce constat, Stagecoach nous propose de repenser la question nationale.
L’ange des ténèbres
La choralité au cinéma, emprunt d’un élément fondamental de la tragédie grecque, se révèle intimement connectée aux questions du collectif et du pays : ce point a été développé dans le numéro précédent à travers l’exemple d’un autre film de résistance, Days of Glory (Jacques Tourneur, 1943). La choralité est toujours impure, la tragédie ici est intriquée à la fois à l’épopée, par la révélation de figures héroïques exemplaires, et à l’opéra par l’omniprésence d’une musique fortement marquée par Wagner.
Exil et quête du pays
La prégnance des paysages dans le western américain, la récurrence des individus en quête d’identité et des communautés en recherche de stabilité : voilà qui suggère la capacité singulière de ce genre cinématographique à penser le pays dans sa complexité. Le cinéma en tant qu’art du mouvement et du processus (notamment d’un personnage et d’une histoire) est à même de rendre compte de la complexité de la notion de pays : qu’est-ce qu’un pays et comment être de ce pays ? A cet égard, le western a souvent été décrit comme le genre cinématographique par excellence d’un pays en construction, d’une « nation en marche », les Etats-Unis d’Amérique, qui se forgent une identité en même temps qu’ils repoussent les frontières de leur territoire national vers l’Ouest.
La peau de chagrin
Le cinéma à ses débuts faisait voyager à travers les contrées du monde. Les opérateurs des frères Lumière ramenaient des bandes d’un peu partout : c’étaient « les bandes du vieux pillard » comme disait à peu près au même moment Raymond Roussel. Gorki remarquait, lui : « Hier soir, j’étais au Royaume des Ombres ». Assez curieusement, l’une des allégories à être un peu développée au sujet du cinéma consistera à dire qu’il est lui-même un pays à explorer. Un pays peut être soit un pays étranger que l’on rejoint à la suite d’un déplacement périlleux et que l’on parcourt à ses risques et périls ; soit un pays dans lequel on se retrouve parce que l’on en fait partie. Inévitablement, le cinéma sera perçu comme l’un et l’autre : d’abord comme un pays à explorer parce qu’inconnu, puis comme un pays familier.
Trop de pays
T.S. Eliot a écrit que « la nature humaine ne supporte pas beaucoup de réalité ». Et le cinéma ? Malgré ses possibilités ontologiques tant célébrées, il a toujours été partagé (dans le documentaire comme dans la fiction) entre la rencontre du réel physique et l’invention de l’homme imaginaire. Entre l’inscription (ou la rédemption, ou la revendication) du pays réel, dans une pensée géophilosophique (un concept husserlien repris par Deleuze et Guattari), et la constitution d’un nouveau pays —dont Hollywood sera l’exemple le plus extrême— qui perd sa nature géographique et sa référence à une origine qu’elle remplace, devenant une utopie plutôt qu’un topos.