Numéro 21

Que feriez-vous?

par Guy Durand, Rene Girard · visuels: Patrick Altman

Si un cataclysme, une guerre atomique ou une catastrophe écologique vous menaçait, que feriez-vous? Imaginez que vous avez 24 heures pour vous mettre à l'abri et que vous ne pouvez apporter avec vous qu'une seule chose.. Âge, sexe, occupation, réponse (une seule chose et pourquoi). Cette question, parue dans le Journal de Québec les 22, 23, 24, 25, 26 août 1983 à la demande de la revue Intervention, est reprise ici pour connaître le point de vue des lecteurs de la revue. Mais au préalable, voici une analyse sommaire des réponses en provenance des lecteurs du Journal de Québec.

Survivre en prison

par Daniel Lamoureux

La prison tue, chaque jour, au Québec. Elle tue psychologiquement, elle tue physiquement. Elle tue ceux-là qui ne peuvent pas, ou qui ne savent pas, y survivre. La prison est un lieu de silence et d'interdit, un monde fermé, un univers clos animé par ses lois propres, nourri de sa tradition, sa culture, ses luttes, ses espoirs. Par définition la prison est aussi un lieu d'aliénation, d'oppression, et de répression, qu'il faut connaître et comprendre pour y survivre. La prison c'est d'abord un environnement physique constitué de pierre, de fer, de béton et d'acier. Murs, planchers, plafonds, barreaux, portes, grilles, clôtures, barbelés: pierre-fer-béton-acier. Froids, durs, lisses, tranchants, piquants, inodores et ternes: métal mort engendrant la mort. Fenêtres barrées, portes blindées, murs renforcés, clôtures doublées; fenêtres fermées, portes verrouillées, murs vérifiés, clôtures surveillées. Dans les prisons et pénitenciers modernes, le détenu ne peut à aucun moment échapper au regard du gardien, ni à son contrôle. Circule-t-il à l'intérieur de l'établissement, seul ou en troupeau, qu'on l'oriente et le dirige électroniquement, ouvrant et refermant les portes et grilles, observant son avance via un circuit de caméra, l'assourdissant d'ordres crachés par des haut-parleurs anonymes.

Survivre en R.D.A.

par Alain-Martin Richard · visuels: Gerhard Vogt, Hans-Dieter Gumm

Depuis les premiers mouvements populaires polonais regroupés autour de Solidarité, la République démocratique allemande craint d'être débordée à l'Est et de se retrouver isolée géographiquement entre sa soeur capitaliste (R.F.A.) et une Pologne libérale. Pour contrer l'effritement du Pacte de Varsovie, la R.D.A. dénonce le syndicat Solidarité manipulé, selon elle, par des activistes de l'Ouest. D'autre part, les critiques des milieux artistique, pacifiste et écologiste se sont intensifiées depuis le milieu des années 70. Menacée à l'Est et à l'intérieur, porteuse d'une mission d'Etat-tampon — tout comme l'Allemagne fédérale — , la R.D.A., au nom du socialisme et de la realpolitik, radicalise les grandes lignes de son programme. A l'instar des dictatures militaires, la libre expression des opinions, la libre circulation des individus, le droit à la critique passent par le filtre étatique et sont à toutes fins utiles inexistants.

Le pacifisme politique de l’écologie

par Michel Jurdant

Une petite bombe atomique sur Montréal et une encore plus petite sur Québec et plus de la moitié des Québécois n'existerait plus. En fait ils seront enviés par les survivants du reste du Québec qui, sans hôpitaux, souffriront des conséquences des radiations omniprésentes dans l'atmosphère. On ne peut plus se permettre de croire que l'holocauste nucléaire est impossible. L'escalade de la course aux armements a fait un bond gigantesque depuis que, sous l'administration Reagan, les stratèges ont découvert qu'il était possible pour les Américains de gagner une guerre nucléaire! Ils ont alors développé le concept de guerre nucléaire limitée et sélective qui a permis de déclencher la hausse des dépenses militaires et la fabrication de nouvelles armes possédant de petites charges utilisables: les missiles M-X, les euromissiles (Pershing 2 et Cruise) et la bombe à neutrons. Les Soviétiques ripostent avec des armes du même genre et des théories identiques.

Le temps du rêve: Poésie et réalité

par Sylvie Poirier · visuels: R. Edwards

Alors que l'Occidental cherche la solution de sa survie dans la technologie, le monde tribal la recherche et la projette depuis toujours dans la mythologie. L'esprit mythique, première expression de la créativité humaine, celui-là même qui a survécu dans sa forme la plus pure aux aberrations du monde moderne se retrouve aujourd'hui encore aux quatre coins du monde, entre autres chez les aborigènes australiens. J'ai voyagé dans le désert de l'Australie Occidentale et j'y ai rencontré le sage Serpent. J'y ai connu des femmes et des hommes qui, durant deux ans, m'ont fait découvrir, à travers l'univers des sens et leur croyance dans le TEMPS DU RÊVE, leur coin de pays. L'aborigène australien a toujours su puiser dans sa vie nomade de chasseur-cueilleur le temps et l'énergie pour développer une vision mythique, une vie cérémonielle des plus riches et des plus créatrices. C'est une question de survie dans un environnement physique difficile, une question également d'identité et d'expression individuelle et collective. Une sensibilité idéologique profonde qui englobe sa vie sociale, économique et rituelle. Cette vision totalisante que l'on a traduit par le TEMPS DU RÊVE, se dit DJUMANGGANI dans le langage de mes hôtes. À la fois un temps passé mythique et une réalité sacrée intrinsèquement présente dans tous les gestes et les pensées quotidiennes. Chaque grain de sable, chaque serpent, chaque point d'eau, chaque individu en sont imprégnés. La vie et l'imaginaire les animent.

Au risque du quétaine

par Andrée Fortin

Tandis que l'Art stagne dans les musées et les galeries, le quétaine imbibe la vie quotidienne. On circule tous les jours entre le salon et la cuisine, mais on n'a pas toujours le temps de fréquenter les galeries, de lire les «bonnes» revues, qui parfois donnent mal à la tête, surtout après une grosse journée. Bien sûr, tout ce qui se passe dans le quotidien n'est pas quétaine, mais en est rapidement soupçonné: il y a les peintres du dimanche, les bricoleurs, les patenteux qu'on oppose aux artistes comme les violoneux aux violonistes... Dans notre société en voie de cybernétisation, où l'espace social se totalitarise de plus en plus à l'approche de 1984, le seul espace de liberté, la seule marge de manoeuvre, pour bien des gens, ne reste-t-il pas celui de l'environnement quotidien?2 Exprimer sa «créativité», son souci d'esthétique en décorant sa maison, sa personne ou en tricotant des gougounes en phentex. . . ou ne pas l'exprimer du tout. Une partie de la vogue pour la rénovation et la décoration intérieure ne vient-elle pas du fait que le privé est l'ultime retranchement du faire, hors du quadrillage social de la consommation?

Interrogation sur l’art et l’idéologie

par Didier Bay

Prenez un «catalogue» international. Ou plutôt prenez donc un livre de recettes de cuisine. Il s'agirait de se remplir le ventre selon le guide des meilleures recettes. Si on n'avait pas la bouffe et le sexe, ça serait triste. .. Prenez donc votre manuel de sexualité. Quelques passes à la mode ça fait circuler le sang et ça donne de l'appétit. Et puis il faut bien se cultiver, quoi. Catalogue, guide, recette... où j'ai mis mon Quelle, mon Neckermann, mon Caspar Friedrich, mon Duden, mon Petit Larousse, les recettes de ma grand-mère... ? où j'ai mis ma tête, mon ventre, mon pénis... ? Qu'est-ce que je fais avec tout ça? Où sont mes lunettes? j'ai mal à la tête. Maman-Culture, viens me faire un câlin..., j'ai un gros chagrin. Viens me bercer. Depuis une vingtaine d'années que se dessinent les interrogations sur le rôle de l'artiste, du musée, de la galerie, du critique, de la revue (des médias), du produit. . ., on ne trouve finalement trace de tout cela que dans le système-catalogue: les étiquettes des tendances, des écoles, des chefs de file. Une fébrilité d'autant plus intense que la masse des salariés ou pigistes qui tiennent un discours sur l'art est plus important que les quelques tribus d'Artistes traquées ici ou là (En arrière-plan: Un bon artiste est un artiste mort).

Travailler

par Thomas O'Born, Annelli Hennerveitter · visuels: Guy Durand

Le travail en studio du photographe, malgré toute la dextérité technique, ne peut fournir une oeuvre cohérente et adéquate, que dans la mesure où l'objectivation du sujet de la photographie souligne la réalité de l'Art. Qu'elle n'en soit pas l'illusion camouflée/camouflante. Dans la société allemande d'aujourd'hui, l'adéquation de l'Art et de la société s'organise dans la guerilla: parti-pris pour les jeunes générations (savat-ters), les espaces alternatifs (auto-gestion), l'écologie (verts), l'anti nucléaire (anti-Reagan). Changer les proportions, changer la qualité de la vie, lutter pour survivre, l'Art n'a pas le choix des armes. Sinon c'est le maquis.

Nous voulons des pistes cyclables

par Jean-Claude St-Hilaire

Le 14 septembre 1983 s'est déroulée une manoeuvre culturelle dans le cadre de l'événement ART et ÉCOLOGIE. L'idée de départ était d'utiliser la bicyclette comme support d'une action artistique, puis j'ai été mis au courant que la ville de Sainte-Foy avait voté en août 1982 une somme de 150 000$ pour l'aménagement d'une piste cyclable de 3 kilomètres desservant l'axe est/ouest de la ville. En septembre 1983, rien n'avait été fait. On me dit lors de conversations privées que des citoyens avaient fait pression sur certains échevins pour bloquer le projet: on ne voulait pas de jeunes dans le voisinage. Le projet vélo devenait donc plus politique qu'écologique. Advienne que pourra! Je me suis lancé dans la lutte. Le CEGEP de Sainte-Foy (Service aux Étudiants) m'a appuyé financièrement et moralement dans ce projet.

The Graffitti Underground

par Hélène Leclerc

13, 14, 15 ans, à New York dans les bas-fonds, la métropole détruite et complètement décadente; 14 millions d'AUTRES. Les murs des ghettos couverts, le métro: l'intérieur et l'extérieur de chaque train, les tunnels, les entrées, pendant des milles et des milles. On vole ses canettes de peinture, parfois même on s'organise des vols en gang, SOUL KILLERS. On fait aussi ses propres mélanges de couleurs. Passant des nuits en running shoes ou en combat boots, cachant leurs petits corps entre les wagons, dessus, dessous. Le métro est gratuit!!! Si on n'est pas vu, mais Stim s'est fait écrasé, coupé en 3 bouts, en sautant du train en marche pour échapper aux flics du T.A. (Transport Authority), qui, lorsqu'ils vous attrapent, vous battent. Ça fait des p'tits culs couverts de cicatrices. DUKE est le KING des lignes E, F, M, GG et EE (qui n'existe plus), celui qui couvre le plus d'espace et dont le nom apparaît le plus souvent. 10 ans plus tard, DUKE est toujours UNDERGROUND. v

De la nécessite et de l’urgence

par Yves-Enck Marie

De la nécessité et du l'urgence, pourquoi faire? Du théâtre!!! oui, du théâtre. Il est urgent que cette nécessité se pointe à l'horizon. Nous pourrions nous déverser dans l'histoire mais pour le moment je me contenterai de répéter que l'histoire est cyclique, c'est un lieu commun, non pas pour expliquer mon propos mais uniquement pour le situer. Le mouvement de toutes choses part de l'essence d'une énergie concentrée et s'introduit dans un contenant dans le but de développer celui-ci jusqu'à ce qu'il devienne inutile, sans contenu, vide et crée le vide. Il faut alors tout recommencer. Toute forme de vie passe par ce processus. Que ce soit la graine ou le foetus, en potentiel d'abord, puis en réalité. C'est-à-dire féconder, c'est le début de la manifestation de l'énergie toute contenue de l'arbre ou de l'homme. Ces bombes vont bientôt exploser pour libérer dans un nouvel espace l'énergie et lui permettre de se développer, avec au départ, une dépense maximale, vers un contrôle puis l'épuisement et l'arrêt. Les mouvements en Art et dans n'importe quel domaine n'échappent pas à ce processus. La danse, le théâtre, la musique etc. au départ ne sont que des énergies du désir de retrouver la sensation. Nous sommes comme un âne qui court après la carotte. L'enfant qui commence à manger dépense beaucoup d'énergie à retrouver la sensation de son geste qui, pour un moment, a été précis et efficace; de partir de l'assiette et de se rendre à la bouche. Tout ce temps passé pour retrouver une seule sensation, mais quelle sensation!!!

Iolande Jolicoeur et Marie-Andrée St-Denis

par Jacques Doyon

Point de départ d'un lieu codé (un cinéma) qui sert à la fois à la conception et à la perception. Organisation d'une transposition de l'espace du sujet (bisons) à celui du percepteur. Impression de l'image du double dans l'action de la dualité créée par l'architecture de la salle. Le temps répond à celui du sujet et du spectateur en pareil lieu et la fixité simultanée habituelle d'un point de vue unique d'une salle de cinéma est déjouée par le double de l'image. La trame est encadrée par des écrans qui se superposent et se doublent: le récit est donné à différentes profondeurs, du réalisme documentaire à l'instant poétique et se joue dans l'interstice des écrans. Iolande Jolicoeur et Mélanie-Andrée Saint-Denis — installation au cinéma Pigalle, 315 St-Joseph est, Québec, les 13, 14 et 15 septembre 83, 20 hres.

La Survie d’un Indépendant

par Tom Konyves

La rédaction a reçu cet intéressant et substantiel dossier sur la vidéo au Québec dont elle vous offre ici des extraits et un court commentaire. Cette étude a pour but premier de suggérer des stratégies de marketing aux producteurs vidéo indépendants qui éprouvent de la difficulté à distribuer leurs oeuvres au Québec. Les trois régions étudiées, Montréal, Québec et le Lac St-Jean, sont représentatives des conditions rencontrées à travers la province. Pour les besoins de cette étude, un producteur vidéo indépendant se définit comme un individu ou groupe d'individus ayant produit plusieurs bandes vidéo qui furent distribuées et/ou présentées publiquement.

Le projet Bangkok

par Richard Martel

Le lecteur d'Intervention 19, numéro sur la périphérie, a dû remarquer la page couverture d'un style assez hachuré au sujet du projet BANGKOK 1982 du groupe - AT ( minus delta T ). Ce projet était décrit comme scientifique et culturel; il consistait à transporter une pierre de 572 tonnes, en tant que monument européen, de l'Angleterre à Bangkok. Dans le journal Bulval, organe de propagande du projet Bangkok, on insistait sur ce projet comme un exemple d'ethnologie à la recherche d'échanges culturels entre l'Europe et l'Asie. Ce projet culturel est défini comme global par ses auteurs, le groupe - AT. Formé depuis 1978, ce groupe s'active particulièrement à des expérimentations touchant les nouveaux médias (musique, théâtre, performance, peinture, danse et tv.) Le projet Bangkok comportait également la fondation de l'Archive Europa pour coopérer à la collection de documents, dossiers relatifs à la politique, l'art, la science et l'économie. Ce projet de déplacement a occasionné une modification des rapports culturels selon les contextes. Relevant de l'utopie, le transport d'une pierre de 51/2 tonnes comporte énormément de difficultés et fut l'occasion d'une remise en question du système normatif culturel.

Ultimatum

par Louis Gagnon

L'effondrement actuel de l'économie des sociétés industrialisées suscite de nombreuses associations avec la Grande Dépression. Des taux de chômage et d'inflation élevés ainsi qu'un renforcement des hégémonies de droite et de gauche s'accompagnent d'une course effrénée aux armements, corollaire d'un durcissement des rapports entre l'Est et l'Ouest. Le parallélisme entre les deux crises laisse présager un affrontement redoutable entre l'URSS et les USA. Certains économistes « radicaux », membres du « New Left « américain, dont Paul Sweezy, appréhendent que les dirigeants des deux parties ne conçoivent le désengorgement du système que par le déclenchement d'un troisième conflit mondial. LA TURLUTE DES ANNÉES DURES de Pascal Gélinas et Richard Boutet corrobore ces propos inquiétants. Ce long métrage documentaire nous propose une suite d'entrevues d'hommes et de femmes qui ont vécu la désolation des années trente au Québec et en Acadie. On n'y retrouve pas d'interventions de spécialistes, ni la participation d'individus notoires, sauf celle de Madame Léa Roback, militante des premières heures du syndicalisme canadien. Des gens du peuple livrent leur errance de vagabonds, chantent leur survivance et miment leur asservissement économique devant une caméra attentive et respectueuse. Des documents d'archives illustrent ces témoignages contemporains. Plus de 26 chansons qui s'apparentent au répertoire de la Bolduc relient les deux périodes, ajoutent à l'apport de l'image et nous épargnent un commentaire en voix off.

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