Voltaire

Le Voltaire de l’édition de Kehl

par André Magnan

L'oeuvre de Voltaire était impubliable en France à sa mort en 1778. Plusieurs éditions s'étaient succédé depuis plus de vingt ans, mais toutes sous des adresses étrangères. On peut repartir de là : l'écrivain le plus en vue du temps, le plus lu à travers l'Europe entière, restait interdit dans cet ordre monarchique, religieux, judiciaire, qu'on appelle « l'Ancien Régime », parce qu'il incarnait cette dissidence qu'on appelle « Lumières ». Aucun des grands du royaume, naguère « amis » du grand homme, n'osa se porter acquéreur de sa bibliothèque : elle fut achetée par Catherine II - elle est toujours à Saint-Pétersbourg.

Quelques images de Voltaire à travers sa correspondance

par Marie-Hélène Cotoni

Un des charmes de la correspondance de Voltaire est qu'elle nous offre l'illusion de pénétrer dans un passé rendu familier par la fréquence des surnoms, qui souvent font image. Les amis d'Argentai sont des « anges » ; Madame de Champbonin, voisine de Madame du Châtelet, avec qui l'écrivain pleurera sa mort, est un « aimable gros chat » dont on embrasse les « pattes de velours ». Marie Corneille, descendante du dramaturge, adoptée à Ferney, est « Cornélie-chiffon » et l'ami Thiriot « Thiriot-trompette ». Si le roi Frédéric II a été souvent glorifié par le titre de « Salomon du Nord », après les déconvenues de Prusse il a droit, parmi d'autres surnoms, à celui de « Luc », comme le singe de Voltaire.

Sur Candide

par André Suarès

Ces pages d'André Suarès « Sur Candide » avaient paru dans Présences en 1925. Depuis longtemps introuvables, nous avons aujourd'hui le plaisir de les republier grâce à l'aimable autorisation de Ai. François Chapon, conservateur en chef de la Bibliothèque Jacques Doucet et représentant des ayants-droit d'André Suarès. Sur Voltaire au miroir de Suarès, le lecteur pourra également se reporter à diverses notations dans Âmes et visages (édition établie par Michel Drouin, Gallimard, 1989) et dans Vita nova (Rougerie, 1977).

Un long cortège d’ennemis

par Jacques Domenech

Toute sa longue vie durant, Voltaire s'est plu à polémiquer. Aussi sont-ils foule- ennemis personnels, littéraires, apologistes, parfois les trois - ceux qui ont nourri quelque ressentiment à l'égard de Voltaire. Ils ont écrit contre lui ou usé de méthodes plus expéditives comme le chevalier de Rohan. On se propose moins ici de dresser la liste exhaustive des ennemis de Voltaire que d'évoquer l'hostilité à Voltaire et ses manifestations diverses pendant le siècle qui fut le sien. Toutefois, il faut dire que bien souvent Voltaire part en guerre le premier. Il déploie en toute occasion une énergie considérable. Certaines des innombrables joutes dans lesquelles Arouet s'engage dès ses débuts ont contribué à faire de lui l'illustre Voltaire. D'autres se poursuivent sans fin.

Sur la philosophie de Voltaire

par Charles Porset

Kant avait peu d'estime pour Voltaire : il le trouvait «démagogue». Certes il reconnaissait l'avoir lu avec agrément, mais sans profit véritable. Le jugement est sévère et si depuis quelques auteurs ont tenté de réhabiliter Voltaire, la « consistance de Voltaire » philosophe - pour reprendre le titre de l'ouvrage de J.-R. Carré - fait toujours problème et lorsqu'on lui accorde le titre de philosophe c'est toujours par défaut au sens populaire et trivial du terme. Le propos de cet article n'est pas de «réhabiliter» Voltaire philosophe - ce serait peine perdue que de revenir sur le jugement de Kant -, mais de déplacer la question en interrogeant plutôt son rapport à la philosophie, car si Voltaire n'est pas philosophe, il reste que toute sa vie durant il a dialogué avec les philosophes et que s'il ne constitue pas à proprement parler une philosophie, ce dialogue appartient au corpus général de la philosophie au même titre que l'oeuvre de Montesquieu, de Rousseau ou de Diderot.

La métaphysique du mal

par Jean Goldzink

Nul lycéen de France, de Navarre et de Ferney-Voltaire n'a plus le droit de l'ignorer, depuis que Candide s'est irrésistiblement détaché en tête de la littérature bachelière. À Corneille la gloire; à Pascal l'angoisse; à Rousseau le divorce de la nature et de la culture. Voltaire, lui, du bord d'un lac clément, s'est réservé à jamais, entre tremblement de terre portugais et ravages militaires européens, la philosophie du mal, ou plutôt la mise à mal de l'optimisme - ce néologisme technique apparu en 1737 dans le Dictionnaire jésuite de Trévoux, immortalisé en 1759 par le sous-titre de Candide. Rappelons en quelques mots la saine doctrine qui mène au bac, tout en réanimant annuellement, de classe en classe, le maigre fantôme voltairien, plus célébré que cordialement fréquenté.

Le Perroquet absent

par Pascal Maillard

En 1764 la lutte contre 1'«infâme» bat son plein. Le reclus de Ferney inonde l'Europe de ses multiples « rogatons » et fait donner l'artillerie lourde de son Portatif. La parution, en décembre 1763, du Traité sur la tolérance coïncide avec le renforcement d'une écriture guerrière qui semble singulièrement en bafouer les principes. Pourtant, et ce n'est pas la moindre des contradictions, le stratège en chambre, le pourfendeur furieux d'un « méchant fou » nommé Jean-Jacques Rousseau, affecte aussi bien, sur des questions telles que le Mal ou la Providence, une docte ignorance. Le théiste répète en effet qu'il « ne sait pas comment Dieu punit » et rencontre là « de grandes difficultés ».

Langage et connaissance dans les Dialogues philosophiques

par Stéphane Pujol

Les hommes des Lumières n'auront eu de cesse d'aimer la candeur et de s'en méfier. Aimer la candeur parce qu'elle est d'abord le signe d'une conscience délestée du péché originel et incapable de mensonge; le signe encore d'une ignorance mais d'une ignorance positive car tout entière ouverte à sa résolution. La figure du bon sauvage joue à cet égard un rôle exemplaire. La langue du Huron, avant même que celui-ci ne devienne un philosophe patenté, est empreinte d'une simplicité et d'une franchise qui fascinent les Européens.

L’article “Anthropophages ” du Dictionnaire philosophique

par Christiane Mervaud

Le Dictionnaire philosophique portatif, dont la première édition paraît en 1764, comprend alors 73 articles ; il atteint 118 articles en 1769. C'est l'oeuvre d'un vieillard dont « la pétulance augmente avec l'âge» et dont «le sang bout»1. Libre dans la retraite qu'il s'est aménagée « un pied en France, l'autre en Suisse », menant un train de vie princier et travaillant sans relâche, Voltaire, pour fêter ses soixante-dix ans (il est né en 1694), a composé une oeuvre diabolique qui, dit-il, «sent terriblement le fagot» (D 11978).

Le silence de Voltaire

par Giovanni Macchia

Parce que Voltaire était né pour le bruit et que tout au long de son existence il ne perdit jamais une occasion de dire son mot, j'ai toujours été frappé par le silence dont il ne cessa d'entourer Saint-Simon. Dans les quinze mille lettres de sa correspondance, le duc n'est jamais nommé. L'étrangeté de ce silence à l'égard du grand mémorialiste n'a pas surpris, en revanche, ses nombreux biographes.

Voltaire et la poésie rococo

par Jean Weisgerber

Une époque sans poésie ? Le xvme siècle aurait-il rogné les ailes de Pégase, comme le veut Paul Hazard ' ? Ce serait, dans sa première moitié tout au moins, l'âge d'or de la prose, d'une prose « rapide » et «limpide». Pas question de poésie. Après La Fontaine, après Dryden : le désert. Mais Pope ? Mais Gray, Métastase, Hagedorn ? Et Voltaire ? Des versificateurs ? C'est aller un peu vite en besogne, mesurer l'art à la seule aune du sublime - La Divine Comédie, Le Roi Lear ou Les Contemplations -, en faire l'apanage des mages romantiques, des voyants symbolistes, des fidèles de l'abbé Brémond.

L’Institut et le musée Voltaire

par Charles Wirz

L'Institut et Musée Voltaire, qui a été fondé en 1952, grâce à l'initiative de Theodore Besterman, et dont l'inauguration officielle a eu lieu le 2 octobre 1954, est propriété de la Ville de Genève. Il a pour siège la demeure dont Voltaire a fait sa résidence principale du printemps de 1755 à l'automne de 1760 et qu'il a baptisée «Les Délices ». La maison, construite entre 1730 et 1735, a été embellie et agrandie par le philosophe, qui en est resté possesseur jusqu'en 1765. Elle se trouve aujourd'hui en pleine ville, alors qu'elle était sise aux portes de la Genève du XVIIIme siècle ; quant au domaine qui l'entourait, il s'est réduit au cours des ans à un petit parc dont la majeure partie a été aménagée en jardin public.

A Jean Prévost

par Michel Prévost

«Mon petit Papa... » Évidemment, cela semble curieux, qu'un homme de soixante-six ans appelle « Mon petit Papa » quelqu'un qui en aurait, le 13 juin de cette année 1994, quatre-vingt-treize. Mais tu n'as guère changé depuis cinquante ans, depuis ces dernières images que j'ai gardées de toi : sac au dos, devant moi, sur le sentier de montagne qui nous menait en haut de la grande Sure par le « Pas de la Miséricorde»; en train de pousser ta bicyclette dans la côte des « Goulets », à l'endroit où des Allemands étaient tombés sous le feu des maquisards l'hiver précédent ; en robe de chambre, un livre à la main, dans la grande pièce de la maison de Coublevie, ou debout sous le ciel bleu, la mèche en bataille, ton grand pistolet automatique te battant la cuisse, le soir de ton dernier anniversaire, tandis que le silence se faisait sur le champ de bataille abandonné par les Allemands et que, du plus loin, arrivait Hervieux (Huet) qui criait : « Bravo, Goderville, vous leur avez montré de quel bois vous vous chauffiez » ; le même soir, à l'Hôtel Revollet, à Saint-Nizier, avec Hervieux, Durieux (Costa de Beauregard), Brisac, arrosant d'une même bouteille de champagne ta victoire et ton anniversaire...

Schindler, le badge d’or

par Jean-Pierre Faye

Le geste initial que Spielberg attache à Schindler est celui qui va être pour ainsi dire la cause matérielle de l'événement tout entier, comme la pierre est la « cause » de la statue : c'est la mise en agrafe, sur son veston, de l'insigne à croix gammée. Il ne s'agit pas du simple badge à la boutonnière du revers, que nous retrouvons sur la veste de Martin Heidegger et qui ornait tout dignitaire du parti nazi, dans l'appartenance ordinaire. Cette fois c'est un bijou ornementé, dont nous apprendrons en finale, dans les toutes dernières séquences, qu'il est fait d'or. A-t-il été conçu par Schindler lui-même, et réalisé sur sa commande, comme on fait tailler un diamant ? L'objet accompagnera toute la série d'images qui va suivre, il est l’œil de métal par quoi tout s'observe. Le petit autre qui l'accompagne dans la traversée du désastre, et sa foule : esclaves et seigneurs de la guerre, cibles et bourreaux.

Une saison russe

par Raymonde Temkine

Les théâtres de Paris et de sa banlieue s'y sont mis, petits et grands, grands surtout, pour faire de la saison 1993-1994 celle de la célébration des auteurs, metteurs en scène et acteurs russes. Des auteurs, on ne s'étonnera pas que Tchékhov ait été le plus joué en russe et en français. Parmi les metteurs en scène, Lev Dodine s'est d'autant plus imposé que la programmation lui a fait la part belle, cinq spectacles, mais n'en aurions-nous vu qu'un seul, nous lui aurions de toutes façons remis la palme. Le jeune Ivan Popovski qui nous a ravis la saison dernière avec Les Aventures de Casanova, d'après Marina Tsvetaeva, n'est pas encore, cette saison, entré en lice ; nous attendons pour mai sa Baraque de foire d'après Alexandre Blok. Quant aux acteurs, où qu'ils aient joué, ils se sont montrés excellents.

Il était une fois le Bronx

par Raphaël Bassan

Après le culte dévot ou sensuel voué aux stars jusqu'aux années 60, et trois décennies de politique des auteurs, voilà que certains - spectateurs ou critiques - se mettent à chercher la signification et la logique des films dans ce qu'un ironique glissement de sens nomme « la politique des acteurs ». Cette approche trouve une pertinence presque exemplaire dans le cas de Robert De Niro, porte-parole de la plupart des cinéastes de sa génération - Brian De Palma, Francis Ford Coppola, Michael Cimino et, surtout, Martin Scorsese dont il a autant marqué l'oeuvre que ce dernier a façonné le personnage du comédien. Devenu aujourd'hui metteur en scène avec Il était une fois le Bronx, De Niro revient sur l'Amérique des années 60 à travers quelques thèmes familiers à toute la « tribu » : l'individu face au groupe, la manière juste de rester digne en toute circonstance, l'importance des clans et des ethnies dans l'Amérique moderne, la prégnance de la fatalité, la place du ou des pères dans la formation d'un individu.

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