Du spirituel dans l’art

Croire et accroires. Entêtement et transfigurations du spirituel dans l’art actuel,

par Caroline Loncol Daigneault

S’il est vrai que notre époque est celle des microrécits et du révisionnisme historique, la figure du Sujet n’en reprend pas moins du galon, et avec elle, le registre des croyances, de l’introspection et du mystique. Les artistes y puisent des codes, une imagerie, des valeurs, des méthodes pour opérer une synthèse réconciliatrice. Il suffit de penser à la notion de présence, tant prisée dans l’art de la performance; aux pratiques faisant appel aux rituels de la prière, au recueillement et à la méditation; aux rites et aux figures tirés des spiritualités autochtones et orientales; ainsi qu’aux artefacts et vestiges matériels du religieux repérables dans la sculpture actuelle. Des figures bibliques ressurgissent, comme en témoignent certains portraits d’Andres Serrano : jeunes hommes, cheveux en pagaille, l’œil hagard, illuminé, incarnations improbables d’un Christ parmi les païens. Il n’est pas rare de voir l’art se lover dans les cavités vacantes du religieux, lui empruntant non pas ses aspirations, mais ses attributs et ses modes de communication. Qu’importe, dirait-on, le retrait du divin des sphères publiques, la course diversifiée du spirituel paraît, encore aujourd’hui, trouver un point de chute dans l’art1. Ne parlons pas d’un retour du spirituel dans l’art. Pointons plutôt la courbe de sa migration. Après tout, il ne s’est jamais tout à fait estompé. Il suffit de relever ses occurrences dans une histoire de l’art encore récente. L’expérience du mystère, du sacré, de l’infini s’est notamment révélée dans les ambitions mystiques d’une « pâte étalée sur la toile2 », à l’issue d’une série de dialogues, de tensions, entre représentation et expression, matérialité et immatérialité. Manifestement, l’art moderne, tout particulièrement la peinture abstraite, a fait beaucoup de chemin dans ce sens, s’appliquant à créer plus qu’une image, une présence « ouverte », « nue », « vaste », « concrète ». James Turrell en serait par exemple une sorte d’héritier. On peut aussi garder à l’esprit l’impact sans cesse renouvelé qu’ont eu les spiritualités orientales sur les avant-gardes artistiques et sur le mouvement Beat des années 1950 et 1960, invitant à découvrir d’autres niveaux de conscience, à se transformer soi-même en vue de transformer le monde. De toute évidence, il en va de même aujourd’hui : l’art n’a pas suspendu ses questionnements sur les fondements de l’être, pas plus qu’il n’a renoncé, comme l’affirmait Barnett Newman, à « percer les secrets métaphysiques3 ».

Like A Priest Who Has Lost Faith. Notes on Art, Meaning, Emptiness and Spirituality

par Jacob Wren

Is it true that today, in casual conversation, artists often speak about wanting to have a career, but rarely speak about wanting to make something meaningful? Or is this casual observation only my cynicism rising to the surface? In the most general sense, the hope that art can be meaningful in people’s lives brings it very close to the spiritual, and this might be one of the many reasons the topic is often avoided. If I say I want a career (which, of course, I do as much as any artist), I might come across as ambitious, but there is also something practical and down-to-earth in my pronouncement. If I say I want to make something meaningful, it is a higher style of arrogance, more old fashioned, less critical and therefore less contemporary. The desire to make something meaningful brings along with it a thousand small distastes and taboos.

Elle a chaud au culte : le service de la gloire

par Patrick Poulin

Parler du spirituel dans l’art implique de penser la relation entre l’art actuel et la religion actuelle. Non que le spirituel s’épuise dans le religieux, au contraire, mais le religieux exerce en ce domaine une force institutionnelle telle qu’il faut à tout le moins le considérer. En effet, des pratiques libres y trouvent leurs contraintes. Nous avons assisté, depuis le début de « la fin de l’Histoire », en 1989, à un retour en force des questions spirituelles et religieuses, présentant aux démocraties représentatives des problèmes formulés dans les termes du monothéisme, qu’il soit juif, chrétien ou musulman, et ce, vraisemblablement en réaction à la « déterritorialisation » exercée par et dans le capitalisme contemporain, d’esprit néolibéral, et accélérée par l’informatique. Tout indique que le paradigme des avant-gardes, qui remonte au Romantisme allemand, fait actuellement place en art visuel à un réaménagement de perspectives qu’il est encore difficile de juger. En effet, l’art actuel s’inscrit à un moment de l’histoire qui nous aveugle encore : à partir de la fin du 20e siècle, le paradigme des arts visuels qui prévalait depuis la fin du 18e siècle a été désactivé. L’émancipation d’une subjectivité critique et libre dans un exercice illimité de l’imagination, motivée par le point de fuite du progrès humain et par l’appel de la nouveauté, a changé de sens. Cette émancipation humaniste, fortement inspirée au plan politique par la Révolution française, conservait, tout en les déplaçant, des structures chrétiennes; mais elle faisait en sorte que l’artiste avait de moins en moins à servir l’Église ou un monarque, ce qui ne le laissait pas pour autant indépendant des pouvoirs constitués en général, et des pouvoirs économiques en particulier.

Entre spirituel et politique, Nadia Myre balise son territoire

par Chloë Charce

Détourner les tabous institutionnels du spirituel dans l’art actuel est un pari de taille. Qui plus est, associer spiritualité et pratiques artistiques autochtones sans sombrer dans le cliché et le discours complaisant, dans l’imaginaire et la représentation faussée, en est un plus grand encore. Ce n’est que lorsque nous cesserons de jouer aux cow-boys et aux Indiens qu’une nouvelle histoire pourra prendre place. Celle de la rencontre, du dialogue et de l’échange, portant un regard tourné vers l’avenir. Si la scène artistique autochtone nord-américaine connaît un élan de notoriété depuis plusieurs années, elle mérite sans aucun doute qu’on lui accorde une plus grande visibilité encore. La galerie Art Mûr, qui semble vouloir élargir son mandat et rejoindre la vocation des centres d’art, a contribué à cette reconnaissance avec deux expositions consécutives : Baliser le territoire / A Stake in the Ground. Manifestation d’art contemporain autochtone1, dirigée par Nadia Myre, suivie de Meditations on Black Lake2, solo de son plus récent travail. Les artistes présenté-es se donnent le pouvoir de se définir et de circonscrire leur identité dans un désir de partager avec nous leur propre récit.

Massimo Guerrera : Une façon de voir l’être ensemble

par Bernard Lamarche

Spécimen rare dans le domaine de la publication en art contemporain au Québec, cet ouvrage largement illustré se présente comme un catalogue d’exposition et propose un texte consistant de l’artiste Massimo Guerrera, portant sur la dimension hautement spirituelle de sa démarche, et un échange avec l’artiste – 25 façons de regarder un dessin – mené par le philosophe et sociologue Michaël La Chance1. S’ils n’en présentent pas toutes les qualités requises, les propos signés par le créateur de l’installation Darboral retiennent du genre de l’essai moins une propension à débattre qu’une portée philosophique indéniable. Sur la manière dont la pratique de la spiritualité englobe l’ensemble des facettes de la pratique artistique telle que la conçoit l’artiste, ce texte aborde une panoplie de dimensions qui conduisent à une perméabilité des expériences dont il s’est précisément agi d’articuler la réunion, voire la fusion. Quiconque se sera baigné dans les installations performatives de Guerrera, notamment lors de la dernière édition de la Triennale de l’art québécois au Musée d’art contemporain de Montréal, l’an dernier, y trouvera matière à arrimer la façon qu’ont de se désenvelopper les multiples branchements entre les sphères d’activité de l’artiste, lui qui, notamment, habite ses installations de diverses performances publiques, en outre méditatives, qui peuvent remuer les attentes de certains.

Le nouvel esprit du capitalisme selon Melanie Gilligan

par Érik Bordeleau

Le travail de Melanie Gilligan, une artiste originaire de Toronto, née en 1979 et vivant à Londres depuis déjà quelques années, se présente comme une exploration politique multiforme et détaillée des dimensions subjectives de l’économie capitaliste1. Son œuvre semble vouloir prendre au pied de la lettre ce que Luc Boltanski et Ève Chiapello ont appelé, dans une formule qui a fait image, « le nouvel esprit du capitalisme2 ». Par le moyen d’épisodes filmiques qui se démarquent par un art consommé du storytelling télévisuel, Gilligan explore les différents modes par lesquels le capitalisme actuel – qu’on le dise « civilisationnel », « global », « cognitif », « sémiotique » ou « thérapeutique » – fait prise sur la vie biologique, spirituelle et affective de nos contemporains. Les trois œuvres de Gilligan dont je vais discuter ici décrivent trois niveaux de capture nettement définis : Crisis in the Credit System (2008), sorti à point nommé à peine quelques semaines après la faillite de Lehman Brothers et le début de la crise financière, s’interroge sur les processus spéculatifs de valorisation financière par le biais d’un groupe de professionnels de la finance réunis pour un atelier de brainstorming créatif aux allures de thérapie. Self-Capital (2009) poursuit sur une veine plus intimiste, mettant en scène une femme en consultation qui, à la suite d’une induction hypnotique l’invitant à laisser parler son corps, voit le capital s’exprimer à travers elle en toute littéralité. Finalement, dans Popular Unrest (2010), Gilligan nous plonge dans un monde dystopique dominé par « l’Esprit », un système conçu pour « intégrer la vie d’autant de manières que possible », et où des individus meurent sans raison apparente alors que d’autres sont mystérieusement appelés à expérimenter leur être-en-commun. J’aborderai ces trois œuvres de manière assez libre, en prenant comme point focal le travail sur soi, d’ordre éthique et thérapeutique, qui se constitue comme une composante essentielle du processus de valorisation capitaliste actuel.

Le feu sacré : la pratique in spiritu. Éclairages en fondus sur l’art et la spiritualité

par Sylvie Cotton

Le feu de l’écriture Une fois de plus, soumettre les intuitions et les expériences au feu du langage. Les mots sont parfois pires que tout ou mieux que rien. Ils ne parlent pas toujours en leur nom. Ils demeurent des signes-miroirs dans lesquels nous projetons, du creux du soi, vues, interprétations, peurs et espoirs. C’est avec ça qu’on écrit et qu’on parle. Ce texte rassemble des mots choisis et agencés pour parler de la pratique artistique de celle dont on dit que c’est moi. Je ne sais s’ils seront toujours vrais pour aborder ma recherche, mais pour le dire simplement, aujourd’hui, ils se trouvent où je suis. Cette recherche, je la pose comme étant à la fois intérieure et extérieure, spirituelle et artistique. Qu’il soit interne ou externe, l’atelier demeure un lieu intime de pratique et de réflexion (dans les deux sens du terme), un espace par lequel le travail de l’esprit rencontre, par frottement et répétition, celui du corps. Et c’est ainsi que le feu finit par y prendre.

Entretien avec Matthieu Laurette : Lʼinsolite spectaculaire

par Pierre-Charles T.-Monahan

Entrevue avec Pascal Dufaux

par Marie Perrault

New Media Art and the Zeitgeist

par Pau Waelder

L’image officielle : Rachid Ouramdane, “Exposition universelle ”

par Ludovic Fouquet

Montréal Françoise Belu : De l’amnésie au ludisme

par Christiane Baillargeon

Wanda Koop : La peinture d’histoire réactualisée

par Francine Paul

Panmorphic Painting Paradise: The Art of Michael Merrill

par James D. Campbell

Victoriaville

par Valérie de Saint-Do

Fréquences sensibles. Entretien avec Jean Voguet et Philippe Boisnard

Jennifer Fisher : une critique sensorielle

par Karine Léonard Brouillet

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