Si le mot «empathie» (Einfühlung) a d’abord désigné la relation esthétique qu’un sujet peut entretenir avec une oeuvre d’art et ce qui lui permet de s’y identifier émotionnellement, son usage courant, simplifié à l’extrême, renvoie surtout à la capacité de ressen tir l’expérience vécue par autrui. En 2013, Barack Obama affirmait dans un discours que la société contem poraine est en déficit d’empathie, une affirmation maintes fois reprise depuis. Pourtant, rarement aton vu autant de prises de position collectives dénonçant des situations injustes, et qui sont vraisemblablement motivées par des élans de solidarité empathique (campagnes contre l’intimidation, mouvement #metoo, dénonciation de la discrimination systémique, émergence de l’antispécisme, etc.). Qu’en estil réellement ? Éprouvonsnous, dans cette société largement alimentée par les réseaux sociaux, un regain d’empathie ou vivonsnous plutôt un inquiétant excès d’individualisme ?
Empathie
De l’empathie à la bienveillance
Les yeux grands ouverts : la traduction affective dans l’art contemporain
En ouverture de son film Nicht löschbares Feuer (1969), le cinéaste Harun Farocki, assis à une table face à la caméra, demande: «Comment vous montrer les effets du napalm ? Et comment vous montrer les blessures qu’inflige le napalm ? Si nous vous montrons une image de brulure au napalm, vous fermerez les yeux. D’abord, vous fermerez les yeux devant les images. Puis vous fermerez les yeux sur leur souvenir. Ensuite, vous fermerez les yeux devant les faits. Enfin, vous fermerez les yeux sur le contexte des faits. Si nous vous faisons voir une personne brulée au napalm, nous heurterons votre sensibilité. Si nous heurtons votre sensibilité, vous aurez l’impression que nous avons utilisé le napalm contre vous. Nous ne pouvons donc que vous donner une idée des effets du napalm. »
De l’opacité contre les dérives de l’empathie
C’est dans cet esprit qu’il insistait sur le droit à l’opacité : droit de chacun de garder son « ombre », opacitas, c’est-à-dire des zones de non-connaissance irréductibles à toute tentative de catégorisation.
L’empathie en question
Dans les annales de l’histoire de l’art, personne sans doute n’inspire l’empathie moins que Pablo Picasso, qui aurait déclaré à Françoise Gilot : « En ce qui me concerne, les autres sont comme les petits grains de poussière qui flottent dans le soleil. Il suffit d’un coup de balai et ils disparaissent. » Pour l’artiste-rey du cubisme, une pomme avait autant de potentiel d’insurrection qu’un homme armé d’un fusil. Cela n’a pas empêché cette figure héroïque de la révolution formaliste européenne de donner naissance à une oeuvre déchirante, l’une des plus chargées d’émotion jamais créées, pour condamner l’inhumanité de l’homme envers ses semblables. Les formes fragmentées et sans couleurs de Guernica évoquent en effet une profonde affliction pour les civils espagnols morts sous les bombes sans visage de l’ennemi fasciste, le 26 avril 1937. Comment expliquer qu’un être narcissique, aussi doué soit-il, maitrise si bien le pouvoir de l’empathie, alors qu’il échappe à un autre individu pourtant bien intentionné ?
L’automatisation de l’empathie
Machine Readable Hito (2017) de Trevor Paglen se compose de centaines de photos du visage de l’artiste Hito Steyerl, qui arbore dans chacune une expression faciale différente. Chaque cliché est assorti d’une légende où l’on peut lire le résultat d’un algorithme de calcul destiné à détecter l’âge, le sexe et l’émotion du sujet. Leur typographie ressemble à celle que produisent certains logiciels Microsoft qui étaient autrefois regroupés sous le nom Projet Oxford et qui font maintenant partie de Microsoft Azure, plateforme d’apprentissage machine de l’entreprise. Cette plateforme propose, outre un éventail de programmes capables de reconnaitre des visages et de déterminer l’âge, le sexe et les émotions, des algorithmes de reconnaissance vocale, de traduction linguistique en temps réel et de modération de contenus – fonction servant par exemple à détecter et à supprimer des images et des vidéos à caractère pornographique.
Empathie active et non-savoir dans Mother Drum de Dara Friedman
Dara Friedman a grandi en Floride et en Allemagne, se déplaçant d’un univers à l’autre. Si le mouvement reste une constante durant son enfance, c’est aussi par le biais de la danse : sa tante, danseuse au sein des Ballets de Düsseldorf, l’invite aux avant-premières et l’encourage à suivre des leçons. Aujourd’hui, Friedman explore le corps en mouvement dans des oeuvres filmiques et vidéographiques, fruits d’une démarche très élaborée en ce qui a trait au choix des interprètes, à la mise en scène et au montage. Mother Drum (2016), installation vidéo à trois canaux, en est un bon exemple ; elle défile en boucle pendant 14 minutes sans qu’on puisse en discerner le début ou la fin.
Victoria Lomasko
Et le langage graphique de l'empathie
Plaisanterie de la mort plate
L'esthétique performativiste
Le système, de l’intérieur et de l’extérieur : des artistes contre la prison
Service correctionnel Canada s’occupe de 216 prisons d’un bout à l’autre du pays, dont 32 se trouvent au Québec (10 relèvent de l’administration fédérale et le reste, de l’administration provinciale). En 2015, dernière année pour laquelle des statistiques sont disponibles, on comptait 40 147 détenus adultes et 998 mineurs en placement sous garde – ce qui signifie, si l’on combine les systèmes fédéral et provinciaux, que 0,44 % de la population canadienne était alors incarcérée1. À l’échelle nationale, le Québec arrive en deuxième position pour le nombre d’adultes confiés aux services correctionnels.
ATSA quand l’art tend la main
À l’ère de la connexion permanente, de la réalité virtuelle et de la technologisation des relations qui les accompagne, l’humain est de plus en plus confronté au paradoxe d’un être-ensemble déshumanisé et solitaire. L’engagement politique et social ne se traduit plus par une prise de parole solidaire sur la place publique, mais à coup de « j’aime » sur ces interfaces relationnelles qui font désormais office de réceptacles des sociabilités 2.0. On a troqué les contacts humains de chair et de sang contre une empathie artificielle difficilement conciliable avec la réalité des moins nantis qui, faute de moyens, doivent toujours compter sur la présence bien tangible d’une main tendue et d’un sourire bienveillant pour affronter la dure réalité.
Emily Promise Allison
Dream Sequence
Anri Sala
If and Only If
Amy Sillman
Landline
Agnieszka Polska
The Demon’s Brain
Allison Katz
Diary w/o Dates