« Les mots font de la magie. Ils changent le tissu du monde. Si une chose est dite, elle est déjà en train de contaminer le réel, ou du moins les esprits. Rappelons-nous ce que les paroles ont d’incantatoire et de performatif, admettons leur pouvoir. Il nous arrive de prendre le temps de dire les choses telles que nous le voulons, comme des sortilèges. En parlant de politique, en parlant de révolte et de sacré, nous prenons notre place dans la 1 descendance des sorcières . »
Nouveau nouvel âge
De quel avenir l’hirondelle est-elle l’oracle ?
Décrocher la lune
Dans l’Antiquité grecque, il était de croyance commune qu’Aglaonice de Thessalie gouvernait la lune. Cette astronome et thaumaturge – l’une des 999 femmes à occuper le Heritage Floor, le socle triangulaire de l’installation The Dinner Party (1974-1979) de Judy Chicago – était renommée pour sa maitrise des cycles lunaires. Aglaonice prétendait être capable de faire disparaitre la lune, ce qui lui a valu une réputation de sorcière. Dans les cités-États patriarcales de la Grèce antique, c’est en effet ainsi, et non comme des philosophes naturelles, qu’étaient perçues les femmes douées. Tirant profit de cette croyance pour se doter d’une autorité sociale, Aglaonice enseignait aux «sorcières de Thessalie» à employer leur compréhension des éclipses lunaires pour «dérober la lune» avec leurs rituels. Ses contemporain·e·s ont tenté de discréditer ses pouvoirs en les qualifiant de trompeurs, mais c’était passer à côté de la magie véritable qu’elle déployait en créant une collectivité libératrice.
Nouvelles symboliques : symboles et esprits dans les œuvres de Julian Yi-Zhong Hou et Zadie Xa
Récemment, un matin, j’ai remarqué qu’un petit pigeon avait atterri, tête en bas, dans le palmier du jardin où j’habitais. Il était mort; je ne savais pas depuis quand. Moi qui adore les pigeons, je l’ai immédiatement aperçu. Il était différent du pigeon biset que nous connaissons bien : un peu plus petit, délicat et avec un plumage moins coloré. Je considère souvent que la découverte d’un oiseau mort – évènement fréquent de la vie en ville, même si c’est un peu rebutant – est un bon présage. Ce n’est pas qu’elle soit un signe de chance, mais plutôt qu’une rencontre immédiate et viscérale avec la mort nous rappelle l’idée de la transformation, du changement, de la possibilité. C’est une interruption qui embrasse l’idée d’un autre monde. Un oiseau qui tombe du ciel, cela semble symbolique.
Exploiter, exploiter, exploiter, guérir, guérir, guérir
Après avoir été volée sous la menace d’une arme dans une chambre d’hôtel de Paris en 2016, Kim Kardashian s’est remise de son traumatisme en s’entourant de cristaux de guérison. Kardashian, qui a récemment rejoint la liste des milliardaires, a ce soir-là perdu 10 millions de dollars américains en diamants et bijoux d’or. Plusieurs personnes ont été accusées dans la foulée de l’incident, qui n’est pas sans rappeler le travail des Pink Panthers, un réseau international de vol de bijoux. «Honnêtement, après l’évènement à Paris, a-t-elle dit, plusieurs de mes ami·e·s venaient me voir et m’apportaient des cristaux [...]. J’ai commencé à approfondir leur signification et ce qu’ils symbolisent, puis à aller dans ces entrepôts de cris- taux à Culver City et au centre-ville [de Los Angeles]1.» Le commerce des cristaux représente plusieurs milliards de dollars dans l’industrie mondiale du mieux-être – laquelle, en 2019, était évaluée à 4,2 billions de dollars américains2. Faisant partie du courant du nouvel âge, qui regroupe plusieurs autres pratiques, les cristaux ont été popularisés aux États-Unis dans les années 1970. Les ventes actuelles correspondent à la résurgence des marchés de la spiritualité alternative et de l’autosoin, dont la promotion se fait principalement sur les plateformes des réseaux sociaux.
Invocations créatives, rituel et lieu : conversation entre Skite’kmujuawti d’Amanda Amour-Lynx et les œuvres de James Gardner
La créativité des artistes tient au fait de donner le jour à de nouvelles vies et à de nouveaux objets dans le monde. Pour les communautés marginalisées, les processus d’invocation créative et de fabrication rituelle du sens jouent un rôle important, plus encore quand l’époque est troublée ou incertaine. Les observances et les pratiques cultivent le sens et la relation au lieu, mais fournissent aussi, en tant que forme alternative de spiritualité, un but supérieur. Ce processus génératif de mise au monde s’inspire parfois ouvertement d’éléments occultes, métaphysiques, magiques, populaires ou sorciers qui viennent étoffer l’acte créatif. Enrichis de tels éléments, les aspects rituels [de sa pratique] enracinent l’artiste dans un lieu, lui assurant ainsi un ancrage. En art contemporain, certaines pratiques cérémonielles porteuses d’une intention particulière, comme la répétition ou le ritualisme déclaré, élèvent le sens. Cette intentionnalité rapproche l’art de la manifestation visuelle d’une divination, de relations ou d’un respect profond, ancrée dans un lieu dont elle est responsable.
Occulte indécidable et correspondances en art actuel
Ornithomancie chez Laurent Grasso, formules magiques chez Cullen Miller et Gabriel Dunne, spiritisme chez Cécile Babiole, hypnose chez Matt Mullican, radiesthésie chez Yen-Chao Lin, sorcellerie chez Virginia Lupu : les exemples de ce que nous pourrions qualifier de récurrence grandissante de l’occulte dans l’art actuel des dernières années sont légion. Aussi floue que vaste, cette tendance semble rejoindre ce que la sociologue Françoise Champion qualifiait dès les années 1990 de «nébuleuse mystique-ésotérique1». Cette expression régulièrement reprise décrit toujours efficacement une situation et un champ d’études marqués par une nomenclature en friche et une libre appropriation de techniques et de traditions variées. La notion même d’occulte, terme polyvalent permettant ici d’englober autant les traditions ésotériques occidentales et orientales que leur écartèlement dans la culture populaire, mériterait un article à elle seule.
Fabrice Samyn
Où la matérialité mystique rencontre les projections subconscientes.
Maude Arès & Massimo Guerrera
États fluides : entre la dureté du faire et la délicatesse des fards à joues
Matt Shane
Solastalgia
Élise Lafontaine
Peau(x) de pièces