Grâce à leur chant, sinon leur cri, les oiseaux s’entendent plus souvent qu’ils ne se voient. Ils sollicitent notre ouïe plutôt que la vue et, maintes fois, malgré notre volonté de les apercevoir, on ne les repère jamais. Il y a les oiseaux d’eau, des savanes et des prairies, il y a ceux des forêts, mais aussi ceux des villes et des jardins. Parmi eux, se trouvent les passereaux — les oiseaux chanteurs — le groupe le plus répandu dans le monde. Selon leurs espèces, leurs vocalises varient du chant mélodieux du merle ou de l’hirondelle aux croassements parfois criards du corbeau ou de la corneille. Malgré tout, leur intrusion sonore participe au sentiment que la vie est agréable. Que ce soit en babillant, chantant, gazouillant, jabotant, piaillant, piaulant, ramageant, ces animaux ailés contribuent par la musicalité du monde au bien-être humain.
Oiseaux
Des oiseaux qui nous restent
Oiseaux admirables
Depuis la parution de Printemps silencieux — cet opus fondateur de l’environnementalisme occidental écrit par Rachel Carson en 1962 —, les oiseaux sont les emblèmes de l’extinction de masse qui frappe le vivant sous l’ère de l’Anthropocène. La scientifique déplorait la décimation des espèces sous l’effet de l’emploi massif des DDT, entrainant la perte irrémédiable des chants et vocalisations, générant un silence de plomb mortifère dont l’ampleur apparaît plus que jamais abyssale de nos jours. Nombre d’artistes contemporain·e·s et de chercheur·euse·s ont d’ailleurs fait des oiseaux les espèces emblématiques des disparitions à apprivoiser, depuis l’essor des Extinction Studies constituées à partir de milieux universitaires australiens jusqu’à la transformation de la taxidermie qui expose désormais des corps de spécimens morts par collision et non plus des simulacres de vie (on pensera ici à Claire Morgan ou Abbas Akhavan). Mais plutôt que de sonder les modalités du deuil qui vient, de comptabiliser les absences, artistes et théoricien·ne·s aiment aussi à explorer et admirer (non sans une pointe de regret) des cultures aviaires complexes, des habiletés surhumaines qui construisent une forme radicale d’altérité.
L’oiseau comme synecdoque dans l’oeuvre Mirement
Le projet Mirement (2020-2024) de Geneviève Chevalier a été pensé avant la pandémie de COVID-19, en préparation d’une résidence d’artiste, au studio du Québec à Londres, en 2020. L’intérêt pour le site des îles britanniques découlait d’une série de tournages effectués en Écosse au moment d’une résidence de trois mois, au Centre d’art contemporain de Glasgow, en 2017. Ce séjour avait mené à la réalisation de l’oeuvre vidéo accompagnée d’un livre d’artiste Bord d’attaque/Bord de fuite (2018). L’oeuvre investissait l’univers des oiseaux marins boréaux nichant dans les nombreux archipels du pays et tout le long de sa vaste zone côtière. Pour ce faire, Geneviève Chevalier documentait plusieurs colonies d’oiseaux, collections muséales et propos de conservateur·rice·s de musée, scientifiques et ornithologues.
Ecologies of Attention in Listening to and Looking at Birds
Expressions like “paying attention” and “investing one’s attention,” Yves Citton tells us, lead us to mistakenly believe that attention is an economic concept when, in fact, attention should be understood as a kind of ecology. As such, attention is grounded in the relationships between living organisms, both humans and non-humans, their physical as well as their social, political and cultural environment. Citton’s “ecologies of attention” reminds us that our attention is a situated practice that conditions and orients the way we understand the world.
Vous vouliez tant nous connaître : Out of Spaces de Marie Lelouche
En 2022, à l’issue d’une résidence de plusieurs mois, l’artiste française Marie Lelouche bénéficie d’une exposition solo aux Tanneries, à Amilly, dans le Loiret. Mettant à profit les spécificités du lieu comme de son environnement — la halle du centre d’art contemporain est située au sein d’un vaste parc et est dotée d’une grande verrière zénithale —, elle présente Out of Spaces : deux séries de sculptures associées à une oeuvre en réalité virtuelle, toutes inspirées de nos relations aux oiseaux. Parmi ses lectures de résidence, Habiter en oiseau de Vinciane Despret1 la marque dans son analyse du territoire en tant qu’espace vécu, constamment négocié et défini par le chant et le mouvement. Ces zones aviaires sont incarnées par des arpentages rythmés, des accords polyphoniques; autant d’actes de territorialisation qui se superposent à nos propres appréhensions et utilisations de l’espace.
Que sont devenus les oiseaux d’’Attār
Les oiseaux résident au coeur de la culture persane. Représentées dès l’époque préislamique, ces figures gracieuses, réelles ou mythiques, habitent et circulent dans beaucoup d’espaces et de pratiques artistiques : jardins, tapis, mosaïques, miniatures, instruments musicaux; des pages du Dīwā2 de Hāfiz aux murs du palais Chehel Sotoon, à Esfahân, jusqu’aux traités anciens de musique. Mais c’est assurément la littérature qui a le plus contribué à rendre la gent ailée si populaire dans l’imaginaire collectif à travers les contes poétiques et mystiques qui demeurent toujours vivants.
Robin Redbreast’s Territories and Songs as a Conceptual Sculpture/Drawing
Robin Redbreast’s Territory/Sculpture 1969 (1970) is Jan Dibbets’s artist’s book in which he explains through text, diagrams and photographs how he followed, studied, and changed the territory of a male European Robin living in Amsterdam’s Vondelpark. Dibbets borrowed from science and stated that he had read books such as the famed ornithologist David Lack’s The Life of the Robin (1943). However, the Dutch artist also wrote that he was not interested in biological facts, just on that individual robin’s territory and flights as a conceptual sculpture. According to him, the artwork was “formed by the movement of the bird between the points that I had set out.” Because of this, it could “never be seen in its entirety. Only its documentation can reconstruct it in the viewer’s imagination.
Birds at War
“Birds Aren’t Real” read massive billboards in Memphis and Los Angeles. On TikTok, the satirical Gen Z meta-conspiracy movement says birds are drones. The US government has killed all the birds, replacing them with bio-replicas that spy on its citizens.1 The movement’s followers know that birds are, in fact, real. The social parody is meant to satirize a post-truth world in which online conspiracy theories dominate. But it conceals the following dystopian facts: US researchers have designed a functioning prototype for a drone using a taxidermy bird, while the Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) recently launched a new program to develop autonomous bird-of-prey drones.2 These are just the most recent developments in the long history of avian instrumentalization in human warfare.
Les oiseaux ventriloques de Mara Eagle
Il nous est tous et toutes arrivé de flâner sur Internet en faisant défiler des vidéos de tous genres, nous permettant de prendre une pause du quotidien et de fuir notre esprit quelques instants. Ces vidéos disponibles abondent sur les diverses plateformes, mais je parie, sans l’ombre d’un doute, qu’il vous est arrivé de tomber sur celles, amusantes, qui captent un animal domestique reproduisant un comportement humain de façon cocasse. Mara Eagle a élaboré son projet en consommant précisément ce type de clip.
Pratiques d’observation chez Éloïse Plamondon-Pagé et Adrian Göllner
Munis de cahiers de notes, de crayons, de jumelles et d’un appareil photo, Éloïse Plamondon-Pagé et Adrian Göllner intègrent la pratique de l’observation des oiseaux à leur travail artistique. Les deux artistes apprennent à identifier les espèces aviaires dans les régions du monde qu’ils visitent et dans leur environnement local, et approfondissent leur compréhension du monde naturel et leurs connaissances ornithologiques. Ils scrutent leurs couleurs, leur taille, leur manière d’habiter et de voler, leur abondance comme leur rareté. Ces observations, dont ces artistes font des oeuvres, sont une invitation à l’émerveillement. En retour, elles amènent à porter une attention accrue à notre environnement, où que nous soyons. Elles offrent un calme témoignage de respect envers notre monde vivant et convoquent avec douceur à une prise de conscience de son péril, délivrée par des oeuvres dont la poésie rappelle pourquoi l’oiseau est porteur de tant d’histoires et d’espoir.
Cohabiter avec les oiseaux : entretien avec Richard Ibghy et Marilou Lemmens
Depuis La violence du soin (2019), un ensemble de sept vidéos qui aborde la complexité éthique de situations où des personnes prennent soin des oiseaux, Richard Ibghy et Marilou Lemmens ont créé plusieurs oeuvres qui interrogent les relations que les humains entretiennent avec les populations aviaires. L’animation vidéo Ce que racontent les oiseaux lorsqu’ils parlent (2021) porte sur l’interprétation des chants des oiseaux tandis que la Bibliothèque d’outils communautaire pour les oiseaux (2021) se présente comme une réserve d’outils qu’ils peuvent emprunter. Pour leur part, les deux tours recouvertes de briques vernissées qui seront installées à l’école du Zénith de Shefford, en 2024, nommées Les maisons, ont été conçues pour procurer un habitat au Martinet ramoneur, une espèce menacée au Québec. Alors qu’il effectue une résidence de création en Argentine, je retrouve le duo d’artistes en ligne pour échanger à propos des liens entre ces oeuvres. Le fil de la conversation nous conduit à nous concentrer sur deux d’entre elles, Bibliothèque d’outils communautaire pour les oiseaux et Les maisons (2023-en cours).
Le Dindon de la chasse
Ces derniers temps, je crée des situations en m’emparant du concept d’infiltration pour l’intégrer à mon processus de création. Dans Le Dindon de la chasse (2023), je travestis cette théorie pour m'insérer dans une société parallèle : celle du dindon sauvage. Et comme la chasse cultive cet art du leurre, le prétexte est parfait pour laisser libre cours à la mégalomanie.
35th Bienal de São Paulo: Choreographies of the Impossible
With this 35th edition of the world’s second oldest biennial, the curatorial team took some bold steps to assert the event’s leading role in the Global South, notably by way of a multi-perspectivism to better reflect the current planetary situation in all its diversity, complexity and urgency. In the introductory wall text for Choreographies of the Impossible, the Black-majority curatorial team (Diane Lima, Grada Kilomba, Hélio Menezes and Manuel Borja-Villel) underscored the central question that guided their research: “How can bodies in movement find ways to choreograph the possible, within the impossible?” In yoking the word “choreographies” with “impossible” in the title, the curators, who describe themselves as a horizontal, non-hierarchical team, mobilized a paradox, albeit a fruitful one, that underpinned the articulation of the over 1000 works by 121 artists, 80 percent of whom are non-white, with the vast majority hailing from countries in the Global South. The inherent tension inscribed in this intriguing title accompanied me throughout my visit of this complex, challenging and inspiring edition.
Thảo Nguyên Phan, Réincarnations of Shadows
L’exposition Reincarnations of Shadows s’est déroulée à Milan, commissariée par Lucia Aspesi et Fiammetta Griccioli, en collaboration avec la galerie d’art Kunsthal Charlottenborg de Copenhague. Elle met en valeur le travail de l’artiste vietnamienne Thảo Nguyên Phan à travers une série d’installations, de dessins, de sculptures, de peintures et de vidéos, plongeant les visiteur·euse·s dans un parcours qui entrelace les événements historiques aux traditions populaires du Vietnam, particulièrement celles de la région du Mékong. Comme le décrivent les commissaires, cet ensemble navigue entre le passé, le présent et le futur.
Ryoji Ikeda
Descending into Ryoji Ikeda’s self-titled exhibition at Amos Rex—Helsinki’s exceptional domed and subterranean museum—deposits one in a sphere that, but for the presence of several luminous screens, is totally dark and sonically rich. The presentation, which includes several of the artist/ composer’s recent data works and two new site-specific installations, marks the debut of his audiovisual installations in Finland. They also represent the epitome of a career of an artist who worked as a sound technician, electronic composer and member of Kyoto-based multi-media collective Dumb Type (1984–early 2000s), before he started to use sound and light as a raw material, combining them in his first synchronized audiovisual works. That meeting not only ignited his interest in sound and light’s physical and mathematical properties, but also prefigured his years-long investigation of scientific research and incorporating data into his compositions.
Going Dark: The Contemporary Figure at the Edge of Visibility
’est l’un des enjeux les plus fascinants de la théorie artistique : comment l’art peut-il être politique non par des affirmations directement idéologiques ou liées aux affaires courantes — on n’a pas besoin de l’art pour cela — mais par son langage propre, par son esthétique? L’exposition Going Dark y répond de manière brillante en réunissant, dans le temple de l’observabilité de la célèbre rotonde du Guggenheim, des oeuvres contemporaines où l’obstruction de la visibilité est reliée aux enjeux sociétaux de l’invisibilisation et de l’hypervisibilité, notamment des personnes noires.
Nicolas Cromback, Landslip
If anything is more satisfying than being aware of living in a great civilization, surely it must be contemplating the collapse of earlier ones. In our self-reflexive society, we learn to understand human history as a “march” of civilizations, the next supplanting the last amidst an abundant, unending visual spectacle: pyramids and sphinxes, obelisks and aqueducts, newer and nastier weapons of war, and skeletons, skeletons, skeletons— legions of skeletons swathed in protective cloth strips and bedecked in kingly ornament, the dead issued up by the earth and seemingly ready to perform for us, so eager for the museum vitrine and the camera. With his exhibition Landslip (2023–2024), artist Nicholas Crombach takes us on an incursion into the rich visual realm of this spectacle of human demise, bringing us to confront the seemingly contradictory yet often concurrent human acts of self-creation and self-destruction.
Terrorisme de velours : la Russie des Pussy Riot
L’exposition documentaire Terrorisme de velours : la Russie des Pussy Riot présente le projet porté par Ragnar Kjartansson et Maria «Masha» Alyokhina, l’une des trois membres fondatrices du collectif avec Nadezhda «Nadya» Tolokonnikova et Yekaterina «Kat» Samutsevich. Elle retrace, depuis 2011, les actions du groupe et leur répression brutale par le régime russe avec le soin notable d’identifier l’implication de chacune d’elles de sorte que l’on prend la mesure de leur engagement individuel et de l’élargissement graduel de leur réseau de militantes.
Une scène pour la rébellion
Les oeuvres rassemblées dans l’exposition Une scène pour la rébellion, présentée à la Galerie Leonard & Bina Ellen de l’Université Concordia, revisitent le rôle du théâtre radical et populaire dans le renversement de l’ordre établi à partir de la seconde moitié du 20e siècle. Mené par Julia Eilers Smith, conservatrice de recherche Max Stern, ce projet curatorial ambitieux s’intéresse à la transmission des pratiques dramaturgiques militantes entre les époques, dans une courbe temporelle qui défie les définitions coloniales du passé et du présent.