Archéologie et littérature

À la recherche du temps perdu

par Jules Masson Mourey

Depuis qu’elle existe, l’archéologie représente une inépuisable source d’inspiration pour les écrivains, toujours en quête d’un « avant » lointain et d’un « ailleurs » exotique que la discipline est toute disposée à offrir à leurs imaginations fertiles. Mais quel genre de relations romanciers et poètes entretiennent-ils exactement avec l’archéologie ? À l’inverse, les archéologues portent-ils un quelconque intérêt à la littérature ? Ce sont les questions autour desquelles nous nous proposons de tourner.

Notre-Dame du Bellay

par Maryvonne de Saint Pulgent · visuels: F. Mantovani / éditions Gallimard

Directrice du Patrimoine au ministère de la Culture entre 1993 et 1997, professeure associée à l’université d’Aix- Marseille et membre du jury du prix des Écrivains du Sud, Maryvonne de Saint Pulgent est l’auteure de nombreux ouvrages sur la musique et l’histoire de l’art. Son avant- dernier livre, La Gloire de Notre-Dame (Gallimard, 2023), trouve son origine dans l’incendie dramatique du 15 avril 2019. Elle y explore la dimension universelle de cet édifice, à la fois sanctuaire spirituel et théâtre politique. L’année suivant sa parution, l’Inrap, chargé des interventions d’archéologie préventive au sein de la cathédrale sinistrée, annonçait une découverte hors du commun, réveillant certaines des plus belles heures des lettres françaises...

Le roman des âges farouches

D’origine belge, Joseph Henri Honoré Boex (1856-1940), dit J.-H. Rosny aîné pour le distinguer de son frère cadet, J.-H. Rosny jeune, avec qui il collabore jusqu’en 1908, apparaît à la fois comme l’un des fondateurs de la science- fiction et comme le plus fameux précurseur du « roman préhistorique ». Sa Guerre du feu, publiée en 1909 et adaptée avec succès au cinéma en 1981 par Jean-Jacques Annaud, a éveillé les vocations de nombreux paléolithiciens célèbres, tels que François Bordes (lui-même auteur de romans, voir aussi p. 8) ou Henry de Lumley. Nul doute que l’extraordinaire pouvoir d’évocation de ce chef-d’œuvre est loin d’être éteint.

La mesure du temps

par Isabelle Jarry · visuels: F. Mantovani / éditions Gallimard

Biologiste de formation, romancière, essayiste et autrice de récits de voyage, Isabelle Jarry est aussi une passion- née d’archéologie ; en 2019 et 2020, le musée d’Archéo- logie nationale, à Saint-Germain-en-Laye, l’accueille en résidence. Celle qui a eu, il y a plus de trente ans, le pri- vilège d’accompagner Théodore Monod dans ses péré- grinations au Sahara – dans l’Ahnet en Algérie, dans le Ténéré au Niger et au nord du Soudan –, en a tiré plusieurs ouvrages : en 1990, Théodore Monod (Plon) et Mémoires d’un naturaliste voyageur (AGEP), puis Voyage au Ténéré (Plon, 1991) et Au désert (Desclée de Brouwer, 2000). Elle se rappelle un « souvenir de voyage » que le génial touche- à-tout chérissait particulièrement.

Préhistoire à l’américaine

visuels: Akg-images trad: Louis Postif

Trois ans avant La guerre du feu, en 1906, l’États-Unien John Griffith Chaney (1876-1916), davantage connu sous le nom de Jack London, publie un autre « roman préhistorique » pionnier, nettement moins retenu par la postérité : Before Adam (Avant Adam). La nature sauvage, thème de prédilection de l’écrivain-aventurier, y est dépeinte sous une forme inhabituelle ; ni paysages grandioses du Klondike, ni meutes de loups déchaînées, ni prospecteurs assoiffés d’or, mais plutôt les tribulations d’un certain « Grande-Dent », l’ancêtre paléolithique du narrateur. Dans l’extrait choisi, la horde découvre les joies du chant...

La guerre au carré

par Jean Rouaud

Prix Goncourt 1990 pour son roman Les champs d’honneur (éditions de Minuit), Jean Rouaud a toujours été intéressé par les sociétés paléolithiques. En témoignent, notamment, ses Préhistoires (Gallimard, 2007), un essai au ton humoristique autour de la naissance de l’art, que, sans doute, Jack London n’aurait pas renié, ou encore La splendeur escamotée de frère Cheval (Grasset, 2018). De la rencontre avec l’esthétique des premiers paysans sédentaires – et belliqueux ? – de Provence sont nées ces quelques lignes, reprises et développées dans un nouveau livre à paraître en 2026 : La maison imaginaire (Gallimard).

Le poète parnassien, le lord et la momie

Flamboyant « soldat » de « l’armée » d’Hernani menée par Victor Hugo en 1830, Théophile Gautier (1811-1872) est une figure majeure de la littérature du XIXe siècle. Poète, romancier et critique d’art, ce « parfait magicien ès lettres françaises » – selon son ami Charles Baudelaire – publie son récit le plus connu, Le Roman de la momie, durant l’année 1857. Dans l’extrait présenté, tiré du prologue, la rencontre d’Evandale avec la « jeune » héroïne Tahoser est un bel exemple d’érotisation de la mort, suivant le goût de certains romantiques. Quelques années avant sa propre mise au tombeau, Gautier aura le bonheur de découvrir lui-même la terre des pharaons, lors de l’inauguration solennelle du canal de Suez.

Crimes sur les sites archéologiques

« La Reine du crime » : c’est ainsi qu’on surnomme la Britannique Agatha Christie (1890- 1976), maîtresse incontestée du roman policier et autrice la plus traduite au monde. Qui ne s’est jamais passionné pour l’une des aventures de son héros, le détective Hercule Poirot ? Tandis que Murder in Mesopotamia (Meurtre en Mésopotamie) fait son apparition dans les librairies du Royaume-Uni en 1936, Death on the Nile (Mort sur le Nil), l’un de ses plus grands succès, sort dans la foulée, en 1937. Tous deux témoignent de l’influence des chantiers de fouille orientaux qu’elle fréquente à partir des années 1930 par le truchement de son second époux, l’assyriologue Max Mallowan.

La pierre et l’objet

par Pierre Vinclair

Auteur prolifique – une trentaine de livres publiés depuis 2007 –, traducteur d’œuvres anglophones et chinoises, et ancien co-directeur de la revue Catastrophes, Pierre Vinclair est l’une des personnalités les plus en vue de la nouvelle génération de poètes français. Son dernier recueil, Les Œuvres liquides, est paru cette année chez Flammarion. Une récente visite au Metropolitan Museum of Art de New York a inspiré à cet infatigable globe-trotteur – il a vécu au Japon, en Chine, à Singapour, en Angleterre – le présent double-sonnet.

Méditation sur les révolutions des empires

Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais, dit Volney (1757-1820), est un homme de lettres et politique rendu célèbre, en 1787, par la publication de son Voyage en Égypte et en Syrie. En 1791, paraissent Les ruines. L’essai, à la croisée du romantisme et de la pensée des Lumières, suscite l’engouement jusqu’aux États- Unis, où Thomas Jefferson se charge de le traduire. « J’irai dans la solitude vivre parmi les ruines ; j’interrogerai les monuments anciens sur la sagesse des temps passés » – en l’occurrence, celles de Palmyre – est ici le leitmotiv d’une expérience philosophique qui ne tardera pas à faire des émules...

La fièvre des ruines

« La fièvre des ruines me gagne », auto- diagnostique François-René de Chateaubriand (1768-1848) dans un passage des Mémoires d’outre-tombe (1849) où il dépeint ses impressions sur la Ville éternelle. Voyageur invétéré, celui qui incarne la quintessence de la littérature française aura nourri son œuvre romantique de multiples séjours en Amérique du Nord, en Méditerranée et en Orient. Dans ces extraits issus de sa correspondance ouverte (1804) puis d’Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811), les monuments de Rome et d’Athènes sont le terreau de diverses considérations mélancoliques... et d’aveux insolites, où l’on découvre chez l’«Enchanteur» un léger penchant cleptomane.

Le romantique anglais et le vase attique

Située comme celle de son homologue Percy Bysshe Shelley dans le très romantique cimetière « non catholique » de Rome, la tombe de John Keats (1795-1821) rappelle, par le voisinage du mur de l’empereur Aurélien et de la pyramide de Caïus Cestius, le tropisme du jeune poète anglais pour les antiquités. C’est en 1820, soit peu avant sa mort causée par la tuberculose, que celui dont l’existence tragique a été adaptée au cinéma en 2009 par Jane Campion (Bright Star) publie Ode on a Grecian Urn (Ode sur une urne grecque). Sans doute la fréquentation assidue des collections – notamment des marbres – du British Museum a-t-elle participé à inspirer ce superbe texte.

Les cités radieuses de l’Algérie antique

Prix Nobel de littérature en 1957, Albert Camus (1913-1960) n’a jamais renié ni sa terre natale, ni ses origines ; il voit le jour à Mondovi, en Algérie, au sein d’une modeste famille de pieds-noirs. « À mi-distance entre la misère et le soleil », dit-il dans la préface à L’Envers et l’Endroit (1937). Chantre de la Méditerranée, c’est sur ses rives lumineuses, toujours, qu’il trouve l’ataraxie et que sa prose dépouillée exulte. Dans le recueil d’essais intitulé Noces, publié en 1938, Camus laisser courir sa pensée le long des ruines antiques, à l’instar d’un Volney ou d’un Chateaubriand... mais de façon infiniment moins pessimiste !

Aux origines du “tophet ” de Carthage

« Mon conte oriental me revient par bouffées », annonce Gustave Flaubert (1821-1880) dès 1853 à sa maîtresse, la poétesse aixoise Louise Colet. Ce « conte oriental », c’est Salammbô, qui ne paraîtra qu’en 1862. Dans l’intervalle, le père de Madame Bovary (1856) multiplie les lectures archéologiques et, en 1858, organise un voyage en Tunisie afin de s’imprégner de l’ambiance qu’il souhaite donner à son histoire : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar » : l’incipit est aussi célèbre que les pages du chapitre XIII dédiées aux soi-disant sacrifices d’enfants que les habitants de la cité punique offraient à une affreuse divinité.

La Campanie en calèche

Les romantiques vouent un culte aux ruines de l’Antiquité et Alexandre Dumas (1802-1870), dont on connaît surtout les romans historiques (Les trois mousquetaires, 1844, ou Le comte de Monte-Cristo, 1844-1846), ne déroge pas à la règle. Le Corricolo, paru en 1843, est le récit d’un périple italien en voiture hippomobile mené avec le peintre Louis Godefroy Jadin. Naples, que l’écrivain affectionne particulièrement, est décrite sous toutes les coutures. Et après d’amusantes considérations sur la longueur des voyages (amusantes, au regard de la célérité de ceux du XXIe siècle), Dumas évoque la tragédie de l’an 79 et les plus anciennes « fouilles » des deux cités romaines ensevelies.

L’épiphanie de Néron

par Nathalie Cohen

Nathalie Cohen est agrégée de lettres classiques et enseigne le grec et le latin. Auteure d’un essai remarqué en 2017 : Une étrange rencontre : Juifs, Grecs et Romains (éditions du Cerf), elle a effectué d’importantes recherches en judaïsme hellénistique et en patristique grecque. En 2019, cette admiratrice d’Agatha Christie entame, avec La secte du serpent (Denoël), une série de « thrillers antiques » intitulée Modus operandi. Les deux derniers volumes des haletantes aventures de Marcus Tiberius Alexander, Un fauve dans Rome et L’or de Jérusalem, sont parus en 2022 et 2025 chez Flammarion. Dans le second opus, Néron, « l’empereur fou », joue un rôle capital...

Une maléfique statue dans les Pyrénées

Tous les archéologues connaissent la base Mérimée, une banque de données du patrimoine monumental et architectural français de la Préhistoire à nos jours. Son nom fait référence à l’académicien Prosper Mérimée (1803-1870) qui, non content d’être l’auteur de célèbres nouvelles, telles que Mateo Falcone (1829), Colomba (1840) ou Carmen (1845), fut également inspecteur général des Monuments historiques. Ainsi, à l’époque, celui-ci parcourt la France et fait connaître de nombreux vestiges inédits, comme les statues-menhirs de l’âge du Bronze récent en Corse. L’idée du récit fantastique présenté ici, La Vénus d’Ille (1837), lui est apparue lors d’un voyage dans le Roussillon.

Un lion en Afghanistan

C’est à son roman le plus fameux, Le lion, paru en 1958, que Joseph Kessel (1898-1979) doit l’un de ses nombreux surnoms. Résistant de la première heure – c’est lui qui compose, avec son neveu Maurice Druon, les paroles du Chant des partisans –, élu à l’Académie française en 1962, l’auteur du sulfureux Belle de jour (1928), entre autres grands succès, est un aventurier que le goût du voyage ne quittera jamais. L’Afghanistan lui inspire Les cavaliers, chef- d’œuvre publié en 1967, ainsi que, moins connu et une dizaine d’années auparavant, Le jeu du roi (1956). Dans le deuxième passage choisi, Kessel revient sur la découverte du fabuleux trésor antique de Begram.

Odes aux pierres dressées de l’empire du Milieu

Médecin de marine, ethnographe, archéologue et sinologue, le Brestois Victor Segalen (1878-1919) est avant tout animé par la sensibilité du poète. De son premier périple exotique, dans les îles polynésiennes entre 1903 et 1904, il retire le matériau du livre Les Immémoriaux, publié en 1907, qui narre l’effacement progressif de la culture maorie. En 1909, il obtient un détachement en Chine où, séduit par d’anciennes pierres gravées dont la tradition remonte à la dynastie Han (206 avant J.-C. – 220 après J.-C.), il se met à composer le recueil de poèmes Stèles qui paraît en 1912. En voici deux fragments, suivis d’un extrait de Chine : la grande statuaire, une étude inachevée de l’histoire de la sculpture chinoise, éditée à titre posthume en 1972.

Vols “à l’arrachée ” dans les temples khmers

Unanimement reconnu comme l’un des intellectuels français les plus influents du XXe siècle, prix Goncourt 1933 pour La condition humaine et nommé ministre des Affaires culturelles en 1959 par le général de Gaulle, André Malraux (1901-1976) ne fut pas toujours un exemple de probité. Celui qui a donné son nom au navire emblématique du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (le DRASSM, service qu’il a lui-même créé en 1966) fut en effet le protagoniste majeur, l’année 1923, d’une scandaleuse affaire de pillage de bas-reliefs dans le temple de Banteay Srei, au Cambodge. Son roman La voie royale, publié en 1930, paraît sonner comme un récit autobiographique...

Ruines et poème andins

Ricardo Eliécer Neftalí Reyes Basoalto (1904- 1973), dit Pablo Neruda, est un poète, diplomate et homme politique chilien, prix Nobel de littérature en 1971. Son recueil Canto General (Chant général), publié en 1950, compte 231 textes regroupés selon 15 sections. Le deuxième chant, intitulé Alturas de Macchu Picchu (Les hauteurs de Macchu Picchu), est sans doute inspiré d’un voyage au Pérou réalisé en 1943. Il y célèbre la majestueuse cité inca bâtie au XVe siècle dans le Sud-Est de la cordillère des Andes, à 2 430 mètres d’altitude, abandonnée lors de la conquête espagnole au XVIe siècle et « découverte » par l’explorateur états-unien Hiram Bingham en 1911. En voilà un extrait.

Le rapt d’un géant du Pacifique

Tout juste âgé de 22 ans, l’aspirant de marine Julien Viaud (1850-1923) débarque sur l’île de Pâques début 1872 lors d’une escale de La Flore. Celui qui connaîtra la gloire sous le pseudonyme de Pierre Loti avec Pêcheur d’Islande (1886) ou Madame Chrysanthème (1887) participe alors à une expédition scientifique. L’ordre de mission ? Effectuer des relevés hydrographiques et rapporter en France un moai, l’une de ses monumentales statues en tuf volcanique. La relation du séjour paraît en 1899 dans les Reflets sur la sombre route. Loti y décrit rêveusement les mœurs des derniers autochtones – les Rapanui –, les vestiges archéologiques de l’île (le terme marai désigne des tombes) et les irrémédiables dégâts causés par l’équipage français...

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