La véritable rentrée de l’art contemporain est fixée au mois d’octobre et commence derechef par la succession de Frieze à Londres et de la FIAC à Paris. L’intervalle d’une ou deux semaines entre les deux foires a fini par disparaître faisant s’enchaîner sans répit les deux évènements. Frieze et FIAC fonctionnent dorénavant comme un combo, bien que les deux organisations soient concurrentes, elles sont indubitablement en synergie, puisque du fait de leur proximité temporelle et géographique elles attirent un grand nombre de collectionneurs européens mais aussi bien sûr et surtout américains, et depuis plus récemment, d’Asie et du Moyen-Orient.
Fiac 2011
Une Fiac en grande forme
Entretien avec Claire Le Restif
Nous avions l’habitude de nous rendre dans ce centre d’art à la périphérie immédiate de Paris, le Crédac : un nom qui résonne avec l’architecture toute en angles de Jean Renaudie, reconstructeur du centre d’Ivry dans les années soixante-dix. Il était jusqu’alors niché dans un ancien cinéma, une forme pour le moins singulière pour un white cube et qui, selon les dires de Claire le Restif, sa directrice depuis presque une décennie, aurait influencé le choix d’une programmation d’artistes intéressés par une prise très directe avec ce lieu « escarpé ». À la rentrée, le Crédac et sa directrice migrent vers la Manufacture des œillets pour y poursuivre une aventure artistique sans concessions aux tendances du moment mais sensible cependant à ses mutations profondes, dans un lieu plus adapté aux nouvelles exigences de monstration des structures artistiques. Une bonne nouvelle à l’heure où les mauvaises manières que l’on croyait disparues à l’encontre de ses responsables resurgissent fort inopportunément.
“Voyage Voyage ”, Pour une République des rêves de Gilles A. Tiberghien
Troisième opus d’une poétique de l’imaginaire en mouvement, le catalogue de l’exposition au Crac Alsace Pour une République des rêves pensé par Gilles A. Tiberghien ponctue ce tout premier commissariat d’exposition pour le philosophe. L’ouvrage explore de nouvelles modalités du genre éditorial, en articulant au sein des grands thèmes de l’exposition autant de chapitres qui accueillent poèmes d’auteurs, images des œuvres, textes et récits de voyages de Tiberghien.
“Home Faber ”, Abraham Cruzvillegas
C’est d’une histoire de colonisation dont il est question ici. Colonisation d’une zone péri urbaine de Mexico dans les années soixante, colonisation de nos espaces urbains contemporains par les rebuts de l’activité humaine et enfin colonisation des espaces d’exposition par ces mêmes résidus ramassés et agencés par les artistes. Au commencement, il y a la migration des parents d’Abraham Cruzvillegas vers la ville, la formation de communautés qui s’approprient, dès lors, les lopins de terre sur lesquels elles s’installent, puis, la construction progressive des maisons de cette banlieue improvisée. Bâties de bric et de broc, modifiées au fil du temps selon les besoins et les occasions, ces baraques de fortune donneront à l’artiste né là-bas le goût des choses « définitivement inachevées ».
“D’une certaine idée du blanc ”, Scott Lyall, Hugo Pernet et Bertrand Planes
Tandis que la mode virait aux couleurs plus vives les unes que les autres, l’été semblait s’annoncer, au gré des balades dans les galeries parisiennes, sous les auspices d’une certaine idée du blanc. D’emblée, chez Triple V, le ton était donné : les Peintures blanches annoncées se révélaient noires. Bien sûr, la littéralité eût été plus aisée, alors que là, une fois la pirouette digérée, le chaland se retrouve face à une troublante expérience de pensée. Qu’est-ce, en effet, que le négatif d’une peinture ? Passer des tableaux blancs attendus à de sombres rectangles froidement accrochés sans autre forme de procès, avouez que c’est tout de même un peu rude. L’idée est pourtant là, se jouer d’un revers de pinceau de l’histoire picturale et produire des négatifs, au sens photographique, de tableaux illustres. Mais encore ?
Denis Savary
La pratique de Denis Savary est multiple. Elle se décline tant en dessins, vidéos, installations, qu’en scénographies ou mises en scène et se structure autour d’un usage complexe de l’exposition et d’une curiosité foisonnante. Comme dans un jeu de dominos, une pièce en fait basculer une autre et au final, les pièces s’enchaînant, le tout compose un vaste pattern au motif étrange, sorte de plan de ville ludique.
“À l’œil nu ”, Erica Baum
Bravant le sens unique que l’on tente trop souvent d’attribuer aux textes — et aux images —, les photographies d’Erica Baum proposent, à la manière d’un hypermédia, une lecture non-linéaire de leurs sujets, une navigation interactive appliquée à des impressions sur papier. À première vue paradoxale, cette description se doit d’être illustrée par un exemple concret : Corpse (2009) est un extrait de la série Dog Ear, pour laquelle la New Yorkaise corne des pages de livres et crée ainsi de petits carrés de texte scindés par la diagonale du pli, qu’elle photographie ensuite en plan serré.
“Oui mais non ”, Yes we don’t
C’est un bien étrange titre que nous proposent les deux curateurs de l’exposition Yes we don’t à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, Nathalie Ergino aux côtés de Joël Benzakin — un oxymore qui évoque le Yes we can de Barack Obama en même temps que I would prefer not to de Bartleby. L’exposition prend acte d’une approche transversale de la part des artistes pour ne plus affronter radicalement le contexte politique comme ils ont pu le faire naguère et pour l’aborder désormais par la bande, par autant de mouvements de contournement, d’infiltration, d’ironisation. Avec : Berard Bazile, Simona Denicolai & Ivo Provoost, Vaast Colson, François Curlet, Jos de Gruyter & Harald Thys, Jeremy Deller & Alan Kane, Francesco Finizio, Richard Hugues, John Knight, Ahmet Ogut, Sener Ozmen & Erkan Ozgen, Julien Prévieux, Michael Rakowitz, Santiago Sierra, Javier Tellez, Carey Young + Links
Winipeg, super nodale
On peut penser la polarité « centre versus périphérie » totalement dépassée depuis l’avènement de la notion de globalisation et la démocratisation des techniques de communication. Cependant, dans les faits, les effets d’une situation périphérique sont bien tangibles et parfaitement singuliers comme le démontre avec brio l’exposition My Winnipeg à la Maison Rouge cet été. Alors que les questions identitaires taraudent l’Europe et notamment la France avec son modèle de centralisation, exposer l’un des fleurons du fédéralisme à la canadienne recadre opportunément la discussion.
L’art et ses chapelles
Depuis que les sociologues se sont penchés sur le fonctionnement de l’art contemporain, on a appris que celui-ci était divisé en de nombreuses « chapelles ». Ils ne croyaient pas si bien dire : depuis vingt ans en Bretagne, L’Art dans les chapelles organise dans ces lieux des expositions en prenant à la lettre et à contrepied cette allégation aux contours lourds de sous-entendus… L’initiative morbihanaise participe de ce mouvement général de colonisation par l’art contemporain du patrimoine national — châteaux, abbayes, chapelles — qui vise à optimiser la fréquentation de ces lieux en leur adjoignant un supplément d’attractivité : on comprend aisément l’intérêt touristique qu’il y a à développer ce genre d’entreprise qui permet de redonner à ces véritables petites perles de culture une plus grande visibilité.
Lumière noire
Du 11 juin au 25 septembre 2011, la Kunsthalle de Karlsruhe réunit sous le titre « Lumière noire » les œuvres d’artistes contemporains français abordant les problématiques inhérentes à l’utilisation du noir. Point de chromophobie ici, juste une hypothèse émise par le commissaire Alexander Eiling, selon laquelle l’art contemporain français perpétuerait une « esthétique du noir » héritée du XIXe siècle et de peintres tels que Manet, Redon ou encore Matisse. Et par un bel oxymore, « Lumière noire » annonce la couleur : qu’il soit lumineux, opaque, porteur d’images ou de métaphores, le noir est un révélateur.