Numéro 9

En matière littéraire, demande-t-on au critique d'être capable de composer «A la· Recherche du Temps Perdu»? On lui sait gré d'être ce qu'il est: un grand consommateur d'oeuvres, un homme qui s'exerce à gouûter et comparer, un amateur éclairé. Faut-il être savant en exercice pour formuler quelque critique valable de la science?

On voudra bien penser que je ne me cite pas par complaisance. J'écrivais en 1956, en conclusion à un gros livre sur le redoutable philosophe et mystique Gurdjieff: «Ce qui importe, c'est de voir qu'une certaine intelligence ésotérique s'intègre aux plus profondes recherches de l'intelligence de notre temps ... Les hommes penchés sur les réalités de l'expérience intérieure vont dans le sens de l'avenir et donnent solidement la main aux philosophes, aux physiciens, aux mathématiciens, aux biologistes qui préparent en ce moment la venue d'un monde sans commune mesure avec le monde de lourde transition dans lequel nous vivons encore pour quelques heures.»

Je crains que beaucoup d'hommes de science ne se soient jamais posé de questions sur ces curieux personnages: les saints. Je gagerais que pour la plupart de mes collègues biologistes il s'agit d'une curieuse variété de fous ou d'hystériques, indignes de frayer avec les «lecteurs de gradations», comme dit Eddington. Aux sceptiques, je rappelerai seulement que l'honnêteté scientifique suppose, avant tout jugement, une documentation préalable et

Quand on a entrepris de faire connaître l'oeuvre de Korzybski, on a souvent l'occasion de regretter qu'il ait baptisé son système: sémantique générale. Aux Etats-Unis, c'est un inconvénient mineur: le mot sémantique était peu répandu, avant qu'il ne so.it popularisé par le non-A (non-Aristotélisme). Mais en France, où le mot sémantique a été créé par Michel Bréal en 1883, cela pose un réel problème. Les gens cultivés savent depuis l'école secondaire qu'il veut dire: étude du series des mots.

Comme je l'indiquais dans mon précédent article, il n'est pas possible de donner une définition précise de la sémantique générale non-aristotélienne dans notre langage aristotélien. De même, on ne peut pas définir dans la géométrie euclidienne courante des figures de géométrie noneuclidienne, par exemple des triangles à un, deux ou trois angles nuls.

Tandis que vous vous imaginez le centre du monde, avec votre station droite et vos airs .. penchés, des créatures singulières poursuivent un destin obscur, mais fourmillant d'inventions. Dieu! que la Nature a de ressources et d'imagination pour se reproduire!

Un sociologue américain demandait récemment de choisir entre fusiller quelques millions de travailleurs et réduire les horaires de travail. Probablement l'évolution de notre époque n'offre-t-elle en effet aucune autre alternative? Au début du siècle dernier, la journée de labeur durait douze ou treize heures, la semaine, 85 ou 90 heures.

Qui de nous n'a un jour rêvé d'aller explorer l'île de Pâques? Contempler dans le regard des colosses de pierre le mystère d'un temps qui nous dépassa peut-être par sa puissance technique et ses connaissances spirituelles, tenter de retrouver les secrets qui manquent à l'équilibre de notre culture, c'est bien là, en effet, un rêve prometteur.

Les Vénus de Lespugue et de Brassempouy, les foules animales de Lascaux et d'Altamira, les personnages fantastiques du Tassili, les dieux masqués du Nil, les rois-prêtres d'Ur, les taureaux divins d' Assur, les pêcheurs de thon de Philakopi, les déesses-mères de Cnossos, les guerriers de Mycènes, tout ce qui est pour nous au début de l'art est aussi aux frontières de notre savoir.

L'automne dernier, une fourmilière humaine s'est accrochée aux flancs de !'Himalaya. En transportant des ·pierres et du bitume dans des petits paniers, des milliers et des milliers de Chinois ont construit.des routes pour atteindre le Toit du monde, qui n'est plus thibétain. Il se passe là-haut une" bataille qui est peut-être d'ordre spirituel, mais ceci n'est pas mon propos. Je veux dire seulement que cette entreprise d'un monde millénaire contre un monde millénaire a ramené l'humanité cinq mille ans en arrière.

Que l'homme ne sache à peu près rien de la terre et de son histoire peut paraître particulièrement surprenant au moment où commence la conquête du cosmos. C'est pourtant le seul point sur lequel les géologues soient tous d'accord. Ainsi, Hans Cloos écrit: «De la terre nous ne connaissons que les détails et les choses sans importance.»

Les tout premiers renseignements dignes de foi concernant Aldous Worp signalent que dès sa plus tendre enfance, quoique apparemment normal du point de vue physique, il était certainement considéré par ses voisins, ses camarades de jeu et sa famille comme étant un idiot incurable. Nous savons également que c'était un enfant calme, aux habitudes extrêmement tranquilles. Le seul son qu'on lui eût jamais éntendu proférer était un monosyllabe, très proche de l'exclamation: «Couic!» et" ceci uniquement lorsqu'on l'appelait pour les repas et, moins souvent, lorsque d'une façon incompréhensible son intérêt était éveillé par un stimulus extérieur, tel: un caillou de forme bizarre, une canne, ou même l'articulation d'un de ses propres doigts.