Marc Jimenez est Professeur émérite à l’Université de Paris I – Panthéon Sorbonne. Il a enseigné l’esthétique à l’UFR d’Arts plastiques et sciences de l’art où il a dirigé le laboratoire d’esthétique théorique et appliquée. Il est également directeur de la « Collection d’esthétique » aux éditions Klincksieck. Traducteur d’Adorno (Théorie esthétique, Modèles critiques), de Peter Bürger (La prose de la modernité), et d’A.W. Schlegel (La doctrine de l’art), il a notamment publié : Qu’est-ce que l’esthétique ? (Gallimard, 1997) et La querelle de l’art contemporain (Gallimard, 2005).
La beauté
Entretien avec Marc Jimenez
Beauté et Différenciation
La nature a souvent servi de modèle aux normes esthétiques, mais sa complexité même et sa foison en fait la source d’idées très différentes : l’harmonie inhérente à l’organisation du vivant, la variété comme source du sentiment de beauté, ou enfin, avec le Zen par exemple, une recherche de l’inspiration dans l’irrégularité même de la nature. Mais certaines de ces théories semblent mieux résister et montrer les paradoxes auxquels les autres parviennent. C’est celles qui reposent sur la variété, ou mieux la différenciation, où un principe – qu’on l’appelle changement, variation, déséquilibre, irrégularité – amène de la différenciation et de la transformation dans l’être.
Illusions et exigences du jugement esthétique
L’appréciation esthétique oscille le plus souvent, tel un pendule, entre deux sortes d’illusions : celle de l’objectivité du beau (comme si la beauté pouvait être un attribut de la chose même), et celle de sa subjectivité (selon la formule du relativisme : « à chacun ses goûts »). Il s’agit ici de penser les critères du jugement de goût par-delà le réalisme dogmatique et le relativisme nihiliste, à la faveur d’un relativisme hiérarchique. Le sentiment du beau s’inscrit dans un contexte social, historique et psychologique, certes, mais il y a quelque chose d’universel dans la relativité du beau. Tous les goûts ne se valent pas, et les critères de la hiérarchisation des jugements de goûts sont immanents à l’activité de juger comme telle. L’article cherche à préciser ces critères.
Ondoyante beauté
La beauté peut être appréhendée dans son apparence, celle d’un chatoiement, d’un ondoiement, pour répondre aux impasses rencontrées par les grandes conceptions classiques de la philosophie : idéalisme aveugle ou empirisme réducteur. La brève analyse, qui n’a d’autre prétention que suggestive, s’appuie sur l’ouvrage du peintre William Hogarth, Analyse de la beauté (1753) ainsi que sur l’évocation de quelques représentations de la beauté féminine.
Le mystère de l’expérience du beau
L’expérience de la beauté n’est-elle pas d’abord celle de la liberté ? Le beau ne me ravit-il pas précisément par sa capacité d’abolir la distance qui m’en sépare ? Comment expliquer un tel prodige? Telle est la question, à laquelle nous répondrons que cette expérience est d’abord une expérience perceptive – ce qui conduit forcément à interroger l’expérience de la beauté du point de vue de l’objet, mais aussi du point de vue du sujet. Le beau n’est-il pas, en effet (premier point de vue), une multiplicité dont nous peinons à dégager l’unité ? Et le jugement relatif au beau (second point de vue), n’est-il pas quant à lui ce qui semble subjectif mais dont nous présupposons pourtant, sans toujours le réfléchir clairement, l’objectivité ? Autant de questions génériques à même de nous initier au mystère de la beauté.
La beauté féminine, un projet de coïncidence à soi
À rebours de la tradition qui fait du corps des femmes le vecteur d’une insupportable soumission aux injonctions masculines, il s’agit de penser la beauté féminine de façon positive en en repérant la dimension ontologique. Nécessairement incarnée et relationnelle, L’expérience du féminin est indissociable d’un projet de présentation corporelle de soi qui participe de la construction du sujet de sexe féminin. En se faisant belle, une femme entre dans un processus d’enrichissement de son être qui passe par le choix qu’elle fait d’une représentation d’elle-même. La quête de la beauté peut alors être définie comme une recherche de l’adéquation à soi par laquelle une femme deviendra ce qu’elle est, témoignage de la valeur qu’elle se confère à elle-même en tant qu’être digne d’être ornée.
Esthétique du rire
L’histoire de la rationalité occidentale s’inscrit en majeure partie dans une dépréciation et un rejet du rire associé dès l’Antiquité grecque à la laideur, l’immoralité et l’ignorance. Il semble donc impossible de penser une esthétique du rire à cette époque, et ce, jusqu’à la renaissance où la crise de rire de la littérature rabelaisienne éclate comme symptôme d’une crise de la rationalité remettant notamment en cause les idéaux métaphysiques dont la représentation du beau et du laid dépendait. Une esthétique du rire apparaît dès lors envisageable notamment grâce à ce nouveau modèle existentiel affranchi de toute transcendance d’essence tragi-mélancolique et dont émergera ensuite un art comique à part entière et esthétiquement reconnu.
Jules Lequier, le spectre du beau
Né en Bretagne au début du xixe siècle, Jules Lequier (1814- 1862) a produit une oeuvre fragmentaire et inachevée. Publiés de manière posthume par son disciple et ami Charles Renouvier, ses fragments ont révélé l’oeuvre d’un philosophe et d’un théologien de génie. Première vérité philosophique et théologique, idéal politique, principe à l’origine de toute création humaine, la liberté est l’unique pensée de Lequier. Si, à la fin du xixe siècle, Renouvier a timidement évoqué le nom de son ami dans ses ouvrages, il faudra attendre les travaux initiés par Baptiste Jacob au début du xxe siècle, poursuivis par Ludovic Dugas, Jean Grenier, Jean Wahl, Xavier Tilliette, Gérard Pyguillem et André Clair pour que soient révélées la teneur et la fécondité de la pensée du philosophe breton.
Jules Lequier : le possible, le nécessaire et la beauté (à propos des Cahiers Jules Lequier n° 3)
Rien n’est plus difficile que de définir le sentiment du beau, qui semble tout à fait ineffable. Expliciter cette harmonie affective mystérieuse et spontanée, n’est-ce pas prendre le risque d’une schématisation grossière ? D’une façon générale, comment y aurait-il une formule du beau ? On aurait envie que la définition philosophique de la beauté soit elle-même belle, poétique.
Singularité et actualité d’Henri Marion
Sans doute est-ce un heureux hasard. À l’heure où l’on reparle tant de Ferdinand Buisson, de Jules Ferry et de la morale laïque, Pierre Hayat fait paraître un livre sur un autre père fondateur de l’école de la Troisième République : Henri Marion. Ce philosophe fut à la fois un des premiers professeurs de science de l’éducation et un administrateur du secondaire public à la fin du xixe siècle.
L’École de Francfort, de Jean-Marc Durand-Gasselin
Depuis le « classique » de Martin Jay, L’Imagination dialectique. L’École de Francfort 1923-1950, publié en France en 1977 chez Payot, l’École de Francfort a fait l’objet de nombreuses études. La dernière en date, celle de J-M. Durand-Gasselin, a au moins pour originalité de retracer l’histoire intellectuelle de cette École de son origine avant-guerre jusqu’à nos jours, c’est-à-dire des trois générations qui la composent : Horkheimer-Adorno, Habermas et Axel Honneth.
L’expérience de l’incomplétude de Thierry Magnin
Thierry Magnin, qui est aujourd’hui recteur de l’Université catholique de Lyon, est à la fois docteur en sciences physiques et docteur en théologie. Ces deux champs de recherche se retrouvent et s’articulent dans son dernier livre : L’expérience de l’incomplétude. L’auteur y soutient en effet que l’expérience de l’incomplétude est commune au scientifique et au théologien. L’un et l’autre sont amenés à voir que « quelque chose échappe » et à s’appuyer sur cette expérience pour « accepter positivement l’incomplétude humaine et entrer avec davantage de perspicacité dans le mystère du connaître. » (p. 324).
Fragments sur le beau
Alors qu'ils sont dispersés aux quatre coins de son oeuvre, et parfois inédits, nous publions ici l'ensemble des textes de Jules Lequier sur la beauté. Un cahier de hors-texte montre les manuscrits en facsimilé.