ACTA est mort le 4 juillet 2012 sur le champ de bataille du Parlement européen et c’est une très bonne nouvelle. Cet Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ou en français Accord Commercial Anti Contrefaçon) représente en effet la quintessence de la corruption du processus politique par les gouvernants des nations occidentales et les multinationales du divertissement, du luxe, de la pharmacie ou encore de l’agroalimentaire qui leur mettent la pression pour préserver leurs rentes de situation. Négocié en catimini depuis plus de quatre ans par 39 États parmi les plus riches de la planète pour renforcer la répression des infractions au respect le plus strict des brevets et des règles de propriété intellectuelle, ACTA était une bombe à retardement pour dynamiter la société pollen qui naît peu à peu des milliards de partages quotidiens sur la toile. Pire : une arme de destruction massive lancée par le « vieux monde » des autorités nationales et des hiérarques du commerce international contre le « nouveau monde » de l’Internet, des médicaments génériques, du logiciel, des cultures et autres semences libres…
Envoûtements médiatiques
“Alea ACTA est ”, Quand le Parlement européen dit non à l’Empire au nom de l’Internet
L’hydre pénale à trois têtes
Une faiblesse de la pensée, en particulier de la pensée critique, consiste à considérer les choses d’une manière binaire : c’est soi ça, soit ça. C’est en particulier le cas quand on essaie de comprendre comment fonctionnent les rationalités qui façonnent la manière dont se produit le savoir ou s’exerce le pouvoir. L’idée simpliste qui prévaut comme un réflexe est qu’il ne peut y avoir qu’une seule rationalité à la fois, une seule rationalité qui caractérise un dispositif, une institution ou notre époque.
Exp(l)oser le temps - Clarisse Hahn & Florence Lazar
Réunissant les travaux de deux artistes, Clarisse Hahn et Florence Lazar, cette Icône se propose de produire un écart sur la conception du temps. Il s’agit ici de publier des travaux qui se trouvent à la frontière des registres, « images témoins » et interprétations, documents et montages, images analytiques ou sensibles, à chaque fois, le découpage ne tient pas. Les deux artistes se tiennent sur une ligne de crête qui, me semble-t-il, ne travaille pas à mêler les genres ou les registres, mais à exposer une autre perception du temps. Proposer des images qui parlent de l’événement, en le sortant de l’axe de l’histoire, pour le considérer autrement dans sa potentialité de discontinu et de réminiscence. Écarter l’histoire, c’est une manière de s’écarter d’une idée très commune et diffuse de science et d’objectivité qui accompagne la discipline et la pratique historique et qui, d’une certaine manière, recouvre l’idée du document, de l’archive comme éléments de neutralité. Écarter et s’écarter, ainsi, cela peut permettre de choisir plutôt l’angle de vue de l’expérience vécue, subjective, et pourquoi pas, ténue et ambiguë face aux événements. Celle qui en général ne survit pas vraiment au rouleau compresseur de l’histoire. Exploser l’histoire serait alors découdre sa linéarité et laisser surgir sa polyphonie circonstancielle.
Envoûtements médiatiques
Notre existence baigne dans le medium des médias. Paroles qui volent, écritures qui restent, lettres qui traversent l’Europe depuis des siècles, journaux quotidiens qui s’y diffusent depuis deux cents ans, télégraphe, téléphone, cinéma, radio, télévision, Internet, smartphone, Facebook : ça circule de plus en plus, toujours plus vite, toujours plus largement, toujours plus intimement. Tout cela ne circule toutefois plus ni entre des individus ni entre des machines : cela se diffuse à travers et en nous.
Média-activisme revisité
Si nous voulons comprendre ce qui a changé dans le paysage médiatique (Mediascape) et ses effets sur la conscience sociale, le point crucial sur lequel nous devons diriger notre attention est le flux d’informations. La péremption de la subjectivation autonome et la domination qui s’exerce sur les comportements sociaux ne sont plus fondées sur la production de contenus et la persuasion idéologique, mais sur l’occupation de l’espace mental et la désensibilisation de la conscience produite par la vitesse croissante du flux d’informations.
Le nouveau paradigme écologique - Pour une écologie générale des médias et des techniques
Par le concept de « nouveau paradigme esthétique», Félix Guattari a voulu caractériser le moment central de l’ère postmédia, dont il voyait se dessiner la possibilité et l’imminence de manière toujours plus précise depuis les années 1980. « La puissance esthétique de sentir », écrivait-il, « bien qu’égale en droit aux autres puissances de penser philosophiquement, de connaître scientifiquement, d’agir politiquement, nous paraît en passe d’occuper une position privilégiée au sein des agencements collectifs d’énonciation de notre époque. » À cet égard, le concept devait souligner non seulement l’accession de la puissance esthétique de sentir à la « position-clé de transversalité » de notre époque, mais aussi le fondement et l’horizon de ce mouvement : il annonçait la subjectivité à venir, une subjectivité re-singularisée, devant être désormais pensée sur la base des nouvelles technologies médiatiques et de l’usage inédit, réappropriant, des médias et des techniques que celles-ci rendaient possibles.
Comment traduire une forme de vie ?
Dans son roman de science-fiction intitulé La plus haute frontière, Joan Slonczewski pose la question de ce que voudrait dire, pour des plantes, avoir le sens de l’humour. Un biologiste « clone un ensemble de gènes » dans une plante de type Arabidopsis afin de leur faire pousser des neurones. Cela permet aux plantes clonées de développer des réseaux neuronaux sensibles à de multiples états mentaux. Un groupe de plantes « a un réseau-rires. Il détecte un stimulus et le trouve drôle ». La plante «rit » en secouant ses feuilles d’avant en arrière. Une question dès lors se fait jour : qu’est-ce qu’une plante peut bien trouver drôle ? Réponse : l’inversion du spectre de la lumière. Cette inversion fait rire les plantes en ce qu’« elle contredit une norme établie, celui du spectre solaire », auquel les plantes sont généralement accoutumées.
Onde ou corpuscule ? L’homme transitionnel de la communication
Nous ne savons pas très bien ce que média veut dire. Cette prothèse, ou cette réalité intermédiaire insinuée entre le vaste monde réel et nos esprits n’est pas exactement bonne à penser, incantations périodiquement adressées à ces corps hybrides accusés de toutes les machinations : «maudits médias», pense spontanément la doxa, mais ce sont les mêmes qui s’enthousiasment pour les promesses toujours très vendeuses des N.T.I.C. (Nouvelles technologies de l’information et de la communication). L’émergence tardive des disciplines qui prétendent en traiter, aujourd’hui enseignées partout au même rang que la sociologie ou la sémiotique, est encore trop récente pour leur conférer le nom de sciences ; et la constitution autour de Régis Debray et de la revue Médium d’une « médiologie » n’a pas davantage abouti à délimiter clairement un champ d’études ou de pertinence : où commence, où s’arrête la fonction média ? La bicyclette, une route, le réseau postal, une scène de théâtre ou Internet entrent-ils également dans ce mot-valise ?
Antimédiation
Nos conceptions modernes des médias sont largement influencées par la cybernétique et la théorie de l’information. Dans le célèbre modèle proposé par Claude Shannon et Warren Weaver, un émetteur et un récepteur sont connectés par un canal, qui sert de conduit au passage d’un message informatif. Ce canal est un médium, et en tant que tel, il connecte et sépare tout à la fois deux points qui sont physiquement ou géographiquement séparés. Le canal renforce la distinction entre l’émetteur et le récepteur, en même temps qu’il offre le moyen de les connecter. Même s’il peut y avoir du « bruit » le long du canal de communication, la finalité d’une médiation est de fournir une connexion aussi fluide et transparente que possible, «comme si» l’émetteur et le récepteur étaient physiquement co-présents.
Les drones : nouveau médium de guerre ?
Les drones utilisés de plus en plus abondamment, aujourd’hui dans les guerres lointaines, demain pour assurer l’ordre intérieur, offrent un exemple très révélateur de la «médiumnisation» de nos environnements médiatiques numérisés et globalisés. Ils ne peuvent voler, espionner ou détruire leurs cibles que parce que nous baignons dans un milieu d’ondes invisibles et omniprésentes, de Wall Street à l’Afghanistan. Le type de comportement qu’ils induisent de la part de leurs opérateurs militaires illustre une fusion parfaite entre le monde du spectacle propre au jeu vidéo et la réalité charnelle tristement effective de corps lointains déchiquetés, en une simulation qui confond absolument la carte et le territoire. Et c’est parce qu’elles ont été envoûtées par la sorcellerie capitaliste du mantra de la Croissance qu’universités et communautés en mal de financement accueillent à bras ouverts la recherche et le développement de ces nouvelles armes de destruction, qui commencent déjà à se retourner contre ceux qui les produisent.
Hypertravail et chronophagie - L’envoûtement hypercapitaliste comme temps de travail imaginaire du consommateur
Comment penser l’emprise des médias ? S’engager collectivement sur la piste de l’envoûtement relève d’un pari, car le mot a deux sens bien disjoints dont l’unité reste à penser. L’envoûtement, au sens moderne et figuré, est une fascination du regard, une captation permanente de l’attention. En ce sens, le mot semble pouvoir dessiner et dénoncer le mode de capture de notre temps et de nos imaginaires par le spectacle captivant auquel nous lient à chaque instant tous les écrans du monde. Mais la notion demeure descriptive, et l’emprise reste un mystère.
Métaphysique du Joker
Le crime ultime du Joker serait-il d’avoir traversé l’écran de la fiction ? Son crime parfait, devant lequel il disparaît sans laisser d’empreinte, tel le sourire de chat sans chat dans Alice. La terrible tuerie d’Aurora du 20 juillet 2012, lors de l’avant-première de The Dark Knight Rises de Christopher Nolan, trouble la limite entre deux mondes dont la salle de cinéma apparaît comme l’échangeur. Dans la mythologie de Batman, la salle de cinéma est intimement liée au traumatisme originel qui marque le destin du héros : les parents de Bruce Wayne ont été assassinés au retour du cinéma où ils étaient allés voir La marque de Zorro avec leur fils ; à Aurora, les coups de feu factices du film se sont matérialisés dans le noir de la salle en un massacre de chair et de sang. À la fois matrice placentaire et métaphore de la crypte psychique, la batcave construite sous le manoir familial perpétue aussi l’obscurité rassurante de la salle où le trio oedipien avait été réuni pour la dernière fois. Le mot de condoléances hébété écrit par Nolan reprend cette thématique infantile, quand il décrit la salle obscure comme étant sa maison.
Musiques mineures, musiques pensantes
La musique pense. Outre l’immédiateté du plaisir qu’elle peut procurer, elle n’est pas seulement un objet d’appréciation sensible. La perspective de l’auditeur qui domine notre perception de la musique constitue un obstacle cognitif. On peut prendre sur elle une autre perspective. Penser la musique en musicien et non en auditeur exige en effet d’entrer dans l’intériorité de la musique, au lieu de la goûter du dehors dans son fauteuil. Une telle connaissance n’est pas strictement technique, musicologique. Une tonique, un accord, un rythme ou une sonorité timbrée ne sont pas de pures formes, mais sont inséparables d’un sens extra-musical qui passe en eux, et qu’ils agencent en musique.
L’éthique du hardcore
Le hardcore n’est pas une musique politique à proprement parler : il n’est pas la mise en forme sensible d’un idéal de justice, du moins si l’on se rapporte aux textes1 des pionniers de ce mouvement – Black Flag et Minor Threat en tête. L’objectif, semble-t-il, était avant tout musical : il s’agissait de jouer vite, fort, d’égaler voire de dépasser des groupes découverts par le bouche à oreille.