Sortir du XXe siècle
Comment la droite ruine la culture
Mélanie Plouviez
Sheena Pate
Elle espère devenir artiste, ou autrice – prouver sa singularité au monde, c’est-à- dire à ses followers. En attendant, elle travaille pour payer un loyer exorbitant et se sent écrasée sous le poids des rêves inassouvis de ses parents. La narratrice de Je suis fan est une jeune londonienne d’origine indienne. Elle vit de soirées Netflix et de malbouffe industrielle, quand elle n’est pas happée par un sport d’en- durance : décortiquer le compte Instagram de « La femme qui m’obsède », concur- rente directe dans la course à la séduction de « L’homme avec qui je veux être ». La première est une influenceuse nord-américaine, blanche, riche, fille d’un poète multiprimé, élevée dans une ferme urbaine, spécialiste de design hors de prix et de recettes de cuisine « vraiment, vraiment bio ». Le second est une personnalité du monde de l’art qui enchaîne les conférences et les expositions, cultive les rela- tions adultères tout en prétendant avoir intégré les leçons de la déconstruction masculine. Plus qu’un amant, c’est le statut que confère l’attention de celui-ci que la narratrice convoite, au risque de se noyer dans le flux ininterrompu des stories de sa rivale et de son crush. Le premier roman de Sheena Patel, traduit en français par Marie Darrieussecq, se situe quelque part entre la désinvolture d’une Ottessa Moshfegh (Mon année de repos et de détente) et l’insolence de Chris Kraus (I Love Dick). Expérimental, hypnotique comme peuvent l’être les contenus qui défilent sur nos écrans, fulgurant par endroits et agaçant à d’autres, ce roman embrasse pleinement son sujet : comment raconter l’emprise et les conséquences de la mise en scène permanente de soi sur les réseaux sociaux ? Au règne du like, que peut-on espérer de l’amour ?
L’argent pertubateur
On n’a pas fini de faire l’inventaire des conséquences du 7 octobre et du génocide à Gaza. Parmi les plus sinueuses : un millionnaire new-yorkais, communiste et converti à l’islam, se réfugie à Tunis pour protéger ses placements antisionistes. C’est devenu l’investisseur principal du Club Africain, l’équipe de la capitale, maison d’un peuple fiévreux et en colère. Mais la Tunisie est en pleine dérive autoritaire. Qui veut encore la chute du régime ? Visite de la galaxie « Fergie Chambers », haltérophile courtisé.
Les passagers nocturnes
L’aéroport de Paris-Charles de Gaulle est peuplé de gens qui ne prennent jamais l’avion : des chauffeurs de taxi, des salarié·es en horaires décalés et des résident·es permanent·es. Pour les personnes sans abri, le stigmate y est un peu moins fort qu’en ville, la violence légèrement atténuée. Sara, Saïd, Nando y ont bricolé des communautés de fortune où l’entraide se combine à la méfiance. Une escale temporaire, pour quelques jours ou plusieurs années. Contre-visite de l’aéroport la nuit, avec les premiers concernés.
Hito Steyerl
L'art et la guerre
David Armstrong
La grâce des marges, l’âpreté des années SIDA, New York, la fête et son revers : tout cela, le photographe David Armstrong l’a saisi avec empathie et sensualité. Son approche est insurgée ; son canon de beauté est classique : en noir et blanc, en portraits, avec un voile de mélancolie. À Arles, cet été, la fondation Luma présente de négatifs inédits qui nous parviennent comme le reflet magnifié d’une communauté en pleine désillusion.
Comment la droite ruine la culture
À l’automne dernier, la région Pays de la Loire a rogné 73% sur le budget de la culture 2025- 2026. On s’en était ému·es, puis on avait intégré la nouvelle donne. Mouvement s’intéresse aux conséquences concrètes de ces coupes sans précédent : des artistes déménagent, des chargé·es de diffusion se reconvertissent, des agents publics écoulent leurs congés avant licenciement. Le paysage qui se dessine est à la fois trop bien connu et terrifiant : la culture est désormais pilotée par Pierre-Édouard Stérin, la droite Retailleau et un ancien de la Manif pour tous. Chronique amère de la Restauration.
Cédric Durand
Le dérèglement climatique est un enjeu mondial et transgénérationnel. Pour construire une réponse adaptée, l’économiste Cédric Durand pioche dans tous les répertoires de l’action politique : réformisme, fédéralisme et social-réalisme. Il propose une planification à grande échelle, assistée par des algorithmes et contraignante pour le marché. Une « utopie institutionnelle », en somme.
Ivo Dimchev
Too freak to fail
Lucile Hadžihalilović
Le silence des glaces