En français, on a pris l’habitude d’appeler improprement dièze le symbole précédant les hashtags, ces trend-topics qui alimentent le débat médiatique. Mais on a aussi importé du nouchi, l’argot d’Abidjan, le mot djèze, qui se prononce pareil et qui veut dire affaire. À mi-chemin entre le bruit du monde et les mots des gens, cette chronique trace sa route dans ce qui nous occupe.
Eileen Myles
C’est quoi les dièses ?
Azélie Fayolle
Ça vient de tomber après deux mille ans d’enquête : les femmes ont toujours écrit de la littérature. Mais le canon n’en garde qu’une trace partielle et mal dépoussiérée. D'Annie Ernaux aux Saint-Simoniennes, la chercheuse Azélie Fayolle remonte l’histoire pour dresser les contours d’un « feminist gaze » : l’intime comme condition politique partagée, au-delà des essentialisations biologiques.
Aux Pays-Bas, nos voisins vigilants
Les Pays-Bas ont ouvert la voie de la surveillance algorithmique à leurs voisins européens. C’est un principe économique et une position philosophique : du port de Rotterdamaux frontières du pays, il faut que les gens comme les marchandises circulent sans dévier – et qu’on puisse les tracer. Alors que la France argue des JO pour nous servir un grand festin sécuritaire, Mouvement s’est intéressé aux petits gestes du quotidien qui déclenchent de grandes paniques policières outre-Meuse. En avant les hackers.
Eileen Myles
Un après-midi caniculaire de juin, Eileen Myles est invité·e à lire un extrait de Chelsea Girls devant une assemblée d’octogénaires à la chapelle des Carmélites, à Toulouse. Iel choisit de leur envoyer « Robin », quinze pages graphiquement homoérotiques avec un taux d’alcoolémie à deux chiffres. On n’est pas certains qu’une « rencontre » ait eu lieu : la poésie d’Eileen Myles semble toujours devoir tomber entre les lattes du parquet générationnel. Depuis la réédition de Chelsea Girls, en 2015, l’auteur·e de 73 ans – qui préfère désormais les pronoms neutres – est passé·e de chroniqueuse de l’underground assignée lesbienne à célébrité internationale et intersectionnelle dont les poèmes sont repris dans la série Transparent, produite par Amazon. Écrits entre 1980 et 1994, les textes réunis dans Chelsea Girls font la navette entre la banlieue de Boston, où vit une famille ouvrière et catholique d’ascendance irlandaise, et la scène artistique newyorkaise deux générations après Warhol, celle qui ne fait pas la couverture des magazines. L’ouvrage a connu un destin contrarié : le traducteur français meurt au milieu de son labeur et le projet est émargé pendant 30 ans. Entretemps, Eileen s’est occupé·e : des pièces de théâtre, du reportage dans la meilleure tradition américaine, récemment compilés dans un livre qu’on pourrait sous-titrer « ... ou comment j’ai gagné ma vie pendant toutes ces années ». Et, surtout, une candidature à l’élection présidentielle en 1992, dont la bande-son est le célèbre poème « I want a dyke for president » (« je veux une lesbienne à la présidence ») de Zoe Leonard. En politique comme en littérature, l’Amérique a l’air de penser qu’Eileen Myles fait de la provocation. L’Amérique a du mal à comprendre que le vol à l’étalage ou les amphétamines soient de dignes objets de méditation, c’est-à-dire des contingences matérielles déterminantes et non morales sur lesquelles on finit par écrire puisqu’elles façonnent nos vies. Aujourd’hui, Eileen Myles s’est trouvé·e un second public en Europe et une base arrière à Marfa, un village texan surinvesti par les artistes newyorkais. Depuis sa jeune célébrité, via son compte Twitter, iel s’occupe désormais des chiens abandonnés et du East River Park, un des derniers espaces verts de Manhattan, promis à la démolition. Ce parc a vu passer tous les zinzins d’après-guerre. Son amphithéâtre a accueilli tous types de performances, à 16 heures ou à 4 heures du matin. New York, comme l’histoire, est une zone de conflit en perpétuelle négociation, un espace à défendre contre les charognards. Pour savoir comment, rapprochez-vous d’Eileen Myles.
Tu es sûre que tu vas y arriver ?
Les femmes ont des carrières moins longues et des promotions moins importantes : c’est vrai dans la culture comme ailleurs. Pour les danseuses et les chorégraphes, dont le corps est l’outil de travail, la grossesse demeure un plafond de verre – et les inégalités se creusent encore après l’accouchement. Il faudrait refonder les structures, adapter les productions, et, évidemment, allonger les congés de maternité. Dialogue à plusieurs entre la conception et l’école maternelle : ici, la grossesse dure trois ans.
Julien Gosselin
En 2013, Julien Gosselin adapte Michel Houellebecq sur scène : 4 heures. En 2016, Roberto Bolaño : 11 heures. En 2018, Don De Lillo : 10 heures. Le metteur en scène aime rester longtemps avec nous. Outre la durée de ses spectacles marathons, sa démesure est devenue une marque sur la scène contemporaine : Gosselin, c’est un acting extrême, des plateaux chargés, un dispositif vidéo massif. Ce gigantisme formel creuse pourtant des zones secrètes : les pulsions violentes qui irriguent la société, nos passions coupables, nos contradictions, nos solitudes. Son dernier spectacle en date, Extinction, pousse le bouchon misanthrope encore plus loin. Cinq heures trente où se croisent clubbing immersif, nihilisme social et fin du monde, sur des textes de Thomas Bernhard et Arthur Schnitzler, en allemand et en français. Le fleuron de la Mitteleuropa des années 1910, parangon de l’excellence occidentale, s’y répand en excès jusqu’à l’autodestruction, et une jeune intellectuelle déverse sa haine de l’Allemagne post-nazie qui l’a enfantée. Une semaine avant la première du show en juin dernier, Emmanuel Macron bredouille une des inepties réactionnaires dont il a secret : selon lui, la société serait en voie de « décivilisation ». Et si, justement, trop de civilisation tuait la civilisation ?
Canards sauvages
La presse quotidienne régionale est connue pour ses compromissions avec les barons locaux – quand ce n’est pas carrément avec les occupants allemands. Au Larzac ou dans les Cévennes, des militant·es se sont chargé·es de faire vivre une alternative éditoriale indépendante. Cette dynamique a fait tache d’huile sur tout le territoire : on ne passe plus la porte d’un bar-tabac sans tomber sur une feuille de chou vitriolée. Rencontre avec les paroliers de la « presse pas pareille ».
Kelly Reichardt
Kelly Reichardt fait des films à petit budget, parce que c’est plus pratique. Primée à Deauville et à Cannes, la réalisatrice américaine est devenue une référence du cinéma indépendant, celui qui se montre attentif aux falsifications que portent les grands récits hollywoodiens. En visite depuis l’Oregon, terre de westerns par excellence, Kelly Reichardt présentait Showing Up à Paris, en pleine contestation contre la réforme des retraites. Rencontre.
Pierre Creton
Apôtre d’un cinéma artisanal et jardinier à son propre compte, Pierre Creton a réalisé une vingtaine de films sans catering ni casting. Ancien ouvrier agricole, il filme la traite des vaches et les potagers de ses clients entre deux scènes érotiques. Un prince, son cinquième long métrage, sort en salles prochainement. Rencontre à domicile, dans le bocage enchanteur du Pays de Caux.