Le Printemps est à vendre. Annoncée en décembre 2012, cette cession s’inscrit dans les grandes opérations immobilières, désormais fréquentes à Paris, où les grands fonds d’investissements et les financiers du monde entier se disputent à coup de milliards les immeubles de renom de la capitale, derrière des portes closes.
Au bonheur du Qatar
La révélation du véritable accord de vente
Un pillage organisé
Les 3 000 salariés du Printemps sont inquiets. Pour la cinquième fois en vingt ans, le groupe est appelé à changer de main. Fin février, la société Borletti, actionnaire à hauteur de 30 % des grands magasins, a annoncé, comme l’avait dévoilé Mediapart, des négociations exclusives pour racheter les 70 % détenus par le fonds d'investissement RREEF, avec l'appui d' un groupement d’investisseurs du Qatar, derrière lequel il n’y a qu’un seul nom : French properties, émanation du fonds personnel de l’émir du Qatar, Hamad ben Khalifa Al-Thani. Le groupe Borletti, très embarrassé par nos révélations, assure que le montage dévoilé n'est plus d'actualité. Des documents internes attestent pourtant que celui-ci était toujours en discussion début février.
Des commissions par millions
Pourquoi le Qatar, qui se présente comme un pays moderne et qui bénéficie d’une convention fiscale hors norme en France, éprouve-t-il le besoin d’aller cacher une opération aussi symbolique que le rachat du Printemps en passant par des méandres de sociétés écrans au Luxembourg, prête-noms et intermédiaires de tous ordres ? Au fil de l’avancée du dossier, la question se pose avec de plus en plus d’acuité. Car ce qui devrait relever d’une simple transaction financière et immobilière emprunte de plus en plus à des pratiques, que l’on espérait révolues, des contrats d’armement.
Le plan social qui se cache derrière la vente
Que va-t-il rester du Printemps, après sa revente aux Qataris ? D’après les documents internes que s’est procurés Mediapart, cela n’aura plus grand-chose à voir avec le grand magasin connu. Oubliés les couettes, les jouets, les casseroles, les meubles… tout ce qui fait partie du grand bazar des grands magasins. Le Printemps Haussmann, le seul qui intéresse les acheteurs qataris, est appelé à devenir, au moins dans un premier temps, un centre commercial, les propriétaires comptant louer à prix d’or des espaces pour des marques de luxe.
L’inexplicable impunité du Qatar
Jusqu’à quand autorisera-t-on le Qatar à s’asseoir sur nos lois ? Jusqu’à quand les autorités publiques, qui lui ont déjà accordé de nombreux passe-droits notamment fiscaux, continueront-elles à fermer les yeux ou à regarder ailleurs, feignant d’ignorer les agissements illégaux de la famille régnante et de ses associés dans le cadre du rachat du Printemps ? Que le Qatar achète la chaîne de grands magasins, c’est son droit. Il peut même la payer hors de prix, s’il le veut. Mais le minimum est que tout se passe dans la légalité et la transparence. Or là, rien de tel.
Une enquête confiée à la brigade financière
Comme si de rien n’était, le Qatar et la direction du Printemps poursuivent leur politique du fait accompli. Mercredi 31 juillet, le PDG du groupe, Paolo De Cesare, a annoncé dans un court communiqué aux cadres dirigeants que la holding luxembourgeoise de façade du Qatar, Divine Investments, venait d’acquérir les 70 % détenus par RREEF, le fonds d’investissement géré par la Deutsche Bank. « L’arrivée d’un nouvel actionnaire, qui privilégie des investissements patrimoniaux à long terme, est une chance pour le Printemps, et permettra de nous affirmer comme l’un des plus beaux grands magasins dans le monde. Je compte sur vous pour écrire ensemble un nouveau chapitre de l’histoire du Printemps », écrit, lyrique, le PDG.