Soie est un substantif. Tous les substantifs sont très seuls. On peut les comparer à des cristaux qui se referment chacun sur sa partie de notre savoir du monde. Mais observez-les attentivement dans tous leurs degrés de transparence et ils rendront tôt ou tard ce savoir.
L’ardeur du poème
La soie, l’espace, la langue, le coeur
La nuit du poème
Il y a quelques années, en rentrant du delta du Danube, l’autobus qui nous ramenait à Bucarest, après un détour par une petite route, s’est arrêté, au milieu de la nuit, dans un endroit désert où s’étendaient les ruines d’une ville romaine.
Qu’est-ce qu’un bon poème ?
L’animal poétique
Je ne puis vous dire ce qu’est la poésie. Il est impossible de définir ce qu’est la poésie, parce qu’il ne s’agit pas d’un objet ou d’un ensemble d’objets dont les frontières permettraient de clairement délimiter ce qui relève de la poésie et ce qui lui est extérieur.
La poésie, héritages et espoirs
Né en 1921 à Pieve di Soligo, Andrea Zanzotto est l’un des poètes italiens les plus originaux et les plus novateurs. Son oeuvre, véritable théâtre de la langue où s’entre-tissent toutes les paroles et tous les idiomes, du babil de l’enfant à la prosodie la plus savante, du dialecte au lexique scientifique, se caractérise aussi par une profonde mémoire de la poésie du passé et par une ouverture à tous les champs du savoir contemporain, de l’astrophysique à la psychanalyse. Le 21 novembre 1995, Andrea Zanzotto était nommé docteur honoris causa de l’Université de Trente. Nous publions ici la « Lectio brevis » qu’il donna en cette circonstance.
Les contextes : essai sur les intentions
La première phrase du monde
Tout était devenu si vieux, autour de nous, en nous déjà, qu’il semblait presque illusoire de recommencer à le vivre, à le dire, avec les gestes de chaque jour, avec des mots.
Quelques notes non linéaires sur l’écopoétique
Quelques notes non linéaires sur l’écopoétique
La poésie au-delà du vers
Le siècle écoulé — le nôtre — évitait dans ses jugements sur l’art tout ce qui ressemblait à de la sentimentalité, du romantisme naïf, de la « mystique », de la « morale », de l’« humain, trop humain ».
Tor Ulven
Poésie oblige
Mais à quoi faire, à quoi dire ? Il est à craindre que le jour où l’on répondrait à cette question, la poésie aurait vécu. Serait-ce un art, un exercice spirituel, une morale ? Quand elle serait tout cela, ce ne serait encore ni ça, ni assez.
Colonne de feu
Ici sur la terre sacrée d’Okhrid, dans la brume dorée des sens et signes divins qui se meuvent parmi nous, comme s’ils nous concernaient manifestement, c’est avec tristesse que je me rappelle que jadis au milieu des champs de Russie, j’ai cru voir, telle la Colonne de Feu, le Verbe créateur qu’au milieu des années soixante-dix j’ai eu l’audace de nommer johannique en me référant métaphoriquement à la définition que donne l’Apôtre du Verbe premier.
Ça sert à quoi la poésie ?
L’homme, cette chose finie, a été doté par l’évolution de la vie sur terre d’un cerveau capable de produire un raisonnement logique complexe, capable de comprendre certaines structures plus ou moins étendues de la nature infinie, la dynamique de leur genèse, celle de leurs rapports et interactions également infinis, compréhension, notons-le bien, toujours relative et finie.
Poésie, existence, mort
Sur ce qui pourrait être de la poésie.
La poésie n’est pas un acte anthropocentrique
Les circonstances du coeur
Juan Gelman est né à Buenos Aires en 1930, dans une famille d’origine ukrainienne
Liberté en forme d’exil
Me travaille depuis mes débuts en poésie, le souci de l’être et ses questionnements, en particulier ceux qui se rattachent au devenir.
Lettre depuis l’enfer
Un ravissement fait partie des malheurs potentiels de l’existence ici-bas. Être enlevé, processus complet d’une vie, avec un début et une fin. Quand Camus déclare que toute existence relève de l’absurde, ce fatalisme essentiel réactualise le mythe de Sisyphe comme une aide à vivre la vie.
Ce que voit le miroir
Grânâz Moussavi est née en 1973 à Téhéran. Un choix de ses poèmes a paru en français dans l’anthologie Derrière ma fenêtre il y a un corbeau (L’Inventaire, 2000). En prélude à la réflexion qu’elle nous a confiée, quelques vers permettront d’entendre le timbre de sa voix : « Fouiller mon sac, à quoi bon ? / Au fond de ma poche se cache un soupir qui a toujours entendu : Halte ! / Laissezmoi tranquille ! / Et s’il me plaît de coucher avec les ronces ! / Pourquoi toujours viser la femme / Qui laisse ses quatre murs / Et épingle un coeur sur sa chemise ? »
Du silence intérieur
C’est par le biais du poème que le poète parle plus volontiers de la poésie. La poésie n’est pas liée à un poème particulier. Elle étincelle en eux comme le soleil sur le cristal poli mais dissimule son existence intérieure et la tient à l’abri des observations, tout comme l’amour et la beauté.
Considérations sur le poète endormi
Dans ce texte, présenté au Congrès de poésie de la ville de Recife (Pernambouc) en 1941, João Cabral de Melo Neto (1920- 1999) ébauche une réflexion qui nourrira son premier recueil, Pedra do Sono (« Pierre du Sommeil »), paru l’année suivante. Ce poète de la conscience en éveil, à la profession de foi antilyrique, a donc curieusement commencé par s’interroger sur les rapports de la poésie et du sommeil. Mais c’est que le sommeil dont il est ici question est davantage l’envers exact de la conscience avec laquelle il garde un lien essentiel — la non-conscience pourrait-on dire, son degré zéro —, plutôt que l’ouverture vers le rêve et l’inconscient, espaces explorés notamment par les surréalistes. Le sommeil n’est pas un contenu, mais une forme (celle de l’état nocturne et chaotique). Dans un pays où l’influence d’André Breton et de ses amis est restée très limitée, João Cabral, dont les références sont pour l’instant surtout puisées dans la mouvance intellectuelle « catholique » (les poètes Jorge de Lima et Murilo Mendes, à côté de Raïssa Maritain) amorçait ainsi une voie brésilienne originale et neuve pour la poésie de son époque.
Une sincérité violente
La matière obscure
Peut-être la voix poétique de José Ángel Valente (Orense 1929- Genève, 2000) compte-t-elle parmi les plus importantes de la seconde moitié du XXe siècle. Valente vécut dans et pour la poésie, il était admirable de l’imaginer à l’affût de la parole, en constante divagation avec le langage, prêt à désincarner ses idées sur chaque poème. « On n’arrive à être écrivain que lorsqu’on commence à avoir une relation charnelle avec la poésie », m’a-t-il dit pour la dernière fois dans sa grande maison d’Almería, en Espagne. Il n’est pas facile d’émettre un jugement sur sa poésie, il est peut-être préférable de s’en souvenir à travers ses propres paroles. L’entretien que je reproduis ici, réalisé le 27 juin 1999, est l’un des derniers qu’il accorda, car sa santé ne lui permettait plus de parler trop longuement. Voici donc ces lignes, en guise de bref hommage.
La poésie est plus importante que nous
Cette phrase attribuée récemment à un grand interprète : « la musique est plus importante que nous », l’idée ne viendrait à personne de la percevoir de façon négative.
Autoportrait en objectiviste lyrique
J’ai toute la mort devant moi pour me comprendre. Ah ! Carillons, carillonnez, ah !
Tout me surprend
Wis³awa Szymborska, née en 1923, vit depuis 1931 à Cracovie. Ses premiers poèmes ont paru au début des années cinquante. Nous publions ici un entretien réalisé à l’automne 1996, quelques jours après qu’on eut appris que le Prix Nobel de littérature lui était décerné. Pour fuir la tourmente d’une soudaine célébrité internationale, Wis³awa Szymborska s’était alors retirée à la montagne, dans une petite chambre sans salle d’eau ni téléphone, au deuxième étage d’une résidence pour écrivains.
L’horizon de tous les dialogues
Durs Grünbein, né en 1962 à Dresde, vit aujourd’hui à Berlin. Il a reçu en 1994 le plus prestigieux des prix littéraires allemands, le Prix Georg Büchner. À l’époque, la Frankfurter Allgemeine Zeitung le saluait ainsi : « Depuis les premiers vers de Hofmannsthal, il n’y a plus eu dans la poésie allemande de favori des dieux qui lui soit comparable. » En français, on trouvera une sélection des poèmes de Durs Grünbein dans Après l’Est et l’Ouest (Textuel, 2001) et un recueil de ses essais dans Galilée arpente l’Enfer de Dante et n’en retient que les dimensions (L’Arche, 1999). Chez le même éditeur paraîtra prochainement un recueil de poèmes, Plis et Replis traduit par Jean-Yves Masson. Durs Grünbein s’entretient ici avec Helmut Böttiger.
Petit dictionnaire poétique
Chemin de vie
Une voie de libération
À la poésie ne s’attache aucune définition qui soit acceptée de manière unanime. Elle n’a pas non plus d’utilité spécifique reconnue historiquement.
Mondes lointains
Jean-Baptiste PARA — Le Japon est un pays de longue tradition poétique. Pendant plus de mille ans, on y a exprimé des sentiments et décrit des paysages selon des modèles prosodiques immuables. Je pense en particulier au haiku et au tanka. Il y a une centaine d’années, au contact de l’Occident, la poésie japonaise a commencé à se renouveler en profondeur et ce processus n’a cessé depuis de se poursuivre. Dans quelle mesure la tradition poétique japonaise nourrit-elle aujourd’hui votre réflexion, votre sensibilité, votre écriture ? A-t-elle une importance dans votre propre cheminement ? Y a-t-il selon vous une modernité, ou tout simplement une fraîcheur, une présence intacte à redécouvrir au sein de la poésie japonaise des siècles passés ?
Âme, scintillement et voix
La plupart des questions que nous avons posées à Kazunari Suzumura, nous les avons également soumises à Sadakazu Fujii. Nous l’avons en outre interrogé sur la dimension polyphonique de ses poèmes. Sadakazu Fujii est né en 1942. Auteur de plus d’une quinzaine de recueils (La Grande Famille des Love Hotels, Où est la poésie japonaise ?, La Bonne Nouvelle…) ce poète tisse des liens féconds avec des formes anciennes de la culture japonaise — des chants et récits chamaniques au tanka — tout en s’ouvrant à l’infinie diversité du monde, entrelaçant l’hier et l’aujourd’hui, la ferveur et l’ironie, les modulations lyriques et les accents populaires. Un long poème de Sadakazu Fujii, « Que scintille la pyrite jaune, mille éclats de mica sur le lac », a été traduit dans le n° 815 d’Europe.
Le clochard en smoking
Automne 1991, je prends le métro à Paris, station Odéon, le Herald Tribune dans la poche de mon pardessus. Un clochard monte dans le wagon, un homme relativement jeune, visage sérieux et cheveux touffus.
Les cigales de Crète
Alors même que je me consacre à la poésie depuis de longues années et qu’elle a toujours trouvé place au centre de ma vie et de mon oeuvre, je continue de m’interroger sur ce qu’elle est pour moi et sur ce qu’elle représente dans un monde qui d’un côté semble la nier, et de l’autre en avoir besoin plus que jamais.
Cahier de création - Poésie italienne
Milo DE ANGELIS, Giancarlo PONTIGGIA, Antonella ANEDDA, Valerio MAGRELLI, Alberto BERTONI, Elio GRASSO, Fabio SCOTTO.
L’écriture de l’exil
À partir de 1933, les écrivains, artistes et intellectuels furent les premiers à quitter l’Allemagne. La haute idée qu’ils se faisaient du patriotisme les vouait à l’exil. Ils partaient pour être en accord avec leur conscience, leurs principes moraux et politiques. Mais aussi parce qu’ils avaient peur, le régime nazi étant persuadé qu’ils étaient ceux dont il devait se débarrasser en premier lieu, comme l’a noté dans son journal Heinrich Mann à Toulouse en 1937.
Présence d’Yves Bonnefoy
Quatre petites plaquettes 1, précieuses et raffinées, publiées avec soin par des éditeurs exigeants, donnent envie de relire un poète, de le resituer dans la tumultueuse histoire d’un siècle qu’il aura traversé, enrichi de ses expériences, de ses rencontres, de ses lectures, de ses interrogations.
De Hong-Kong et d’ailleurs
Le recueil de nouvelles de l’écrivain chinois Leung Ping-Kwan : Îles et continents (Gallimard) est le premier ouvrage de cet auteur publié en français, dans une excellente traduction d’Annie Curien. Leung Ping-Kwan est né à Hong Kong en 1948.
Le prophète assassiné Sayd Bahodine Majrouh, Badr Chaker es-Sayyâb
Voici ce que j’ai vu avant d’écrire cette chronique : une file d’enfants, filles et garçons ensemble, se rendant à l’école, livres et cahiers sous le bras.
Le Théatre : adaptations et créations
De la fin d’année 2001, je retiendrai deux adaptations et deux créations. Peut-être pourrait-on dire qu’en fait ce sont quatre créations car les adaptations en question ont été élaborées par ceux qui ambitionnaient d’en faire un spectacle.
Traces, trajets et quêtes
Trois films français mettent en jeu, en cause et en situation l’exercice traditionnel de la fiction, inventant de nouvelles formes de psychologie (Mischka, de Jean-François Stévenin), redéployant avec une apparente naïveté l’art de la dérive (Lundi matin de Otar Iosseliani) ou proposant une réflexion en creux sur la création littéraire (Le Stade de Wimbledon, de Mathieu Amalric).
Le triomphe d’Offenbach
Est-ce une réaction contre les angoisses de notre temps ? En tout cas l’opéra-bouffe est revenu en force dans les programmes de cet hiver, et sous sa forme la meilleure, avec Offenbach : La Belle Hélène au Châtelet, La Vie parisienne à l’Opéra-Comique, dans des représentations d’une grande qualité dont les mises en scène ne manquent pas de souligner l’étrangeté toujours stimulante.