Abstractions

Ce que nous raconte l’abstraction

par Sylvette Babin

Longtemps confinée à des impératifs formalistes et autoréférentiels qui invitaient à voir dans une œuvre uniquement ce qu’elle donne à voir (« ... l’œuvre plastique ne peut se réduire à quoi que ce soit d’autre qu’elle- même », affirmait Clement Greenberg), l’abstraction s’est progressivement libérée du joug greenbergien pour retrouver sa puissance évocatrice. Sans refaire en détail le parcours historique de cette émancipation, soulignons seulement que l’abstraction n’est pas apparue avec le modernisme : le motif abstrait présent dans les cultures visuelles prémodernes, notamment dans l’art médiéval ou dans l’art ornemental islamique, celtique et africain, se manifestait déjà comme moyen d’expression de la réalité invisible ou du sacré.

Sans signature : du statut du style dans la peinture abstraite

par Brian T. Leahy

Peu de peintres contemporain·es signent leurs œuvres à l’avant. Une des premières choses que j’ai apprises dans un cours de peinture de premier cycle était qu’il ne fallait jamais, sous aucun prétexte, signer une œuvre au recto. Selon le professeur, une signature griffonnée discrètement dans le coin inférieur droit du tableau constituait la marque la plus évidente qui distinguait les abstractions kitch d’un·e peintre autodidacte des œuvres sérieuses des artistes qui se réclamaient de la lignée des grands peintres abstraits.

Abstractions errantes

par Adam Lauder

Les artistes contemporain·es dénouent les fils qui relient l’abs- traction à l’informatique et aux textiles. Récemment présentée au Musée des beaux-arts du Canada, l’exposition itinérante Histoires entrelacées : textiles et abstraction moderne offrait une ambi- tieuse contre-histoire de l’abstraction ancrée dans « la réalité de tous les jours1 » des arts de la fibre et du façonnement de soi [self-fashioning]. Longtemps négligé par les historien·nes de l’art, car considéré comme le produit d’un travail féminin, le tissu, ou plus précisément la chaine et la trame, commence enfin à être reconnu comme l’origine de ce symbole persistant de l’abstrac- tion qu’est la grille.

Respirer sous l’eau : les archives du souffle de Charles Campbell

par Jayne Wilkinson

Les profondeurs océaniques sont réputées être les lieux les moins connus de la Terre : elles sont dépourvues de lumière et de couleurs, elles sont peu cartogra- phiées et toute perception doit s’y faire par le biais d’une distance technologique. Dans une installation récente intitulée How many colours has the sea (2024), l’ar- tiste multidisciplinaire Charles Campbell s’empare de cet espace spéculatif à la fois imaginé et réel. Neuf grands panneaux d’aluminium lumineux, longs et étroits aux motifs rose, orange, jaune et bleu vifs ponctuent une salle assombrie telles de minces tranches d’arc-en-ciel découpées dans des murs indigo. Une sculpture de métal réticulée occupe l’espace aérien ; ses géométries angulaires se déplient dans un rythme ondoyant, rappelant des coraux, des nuages ou des algues. Une trame sonore composée d’enregistrements réalisés par des hydrophones océaniques évoque les effets acoustiques hypnotisants de l’eau en mouvement, interrompus ponctuellement par le bruit déstabilisant d’un gros bouillon. Ces contrastes immer- sifs créent un sentiment de profond recueillement ; ils font penser à la mer à la fois comme une figure métaphorique de l’esprit et du renouveau et comme un lieu ­ propice au deuil.

En mémoire de Matthieu Dumont

par Carmelle Adam, Marie-Hélène Leblanc

« Bouillie sur mon cœur »