Plastiques

Remodeler le Plasticocène

par Sylvette Babin

La matière était remplie de promesses. Une « substance alchimique », disait Roland Barthes en 1957, titre qui lui octroyait presque des propriétés magiques. Clairvoyant, le philosophe ajoutait : « Le plastique est tout entier englouti dans son usage ; à la limite on inventera des objets pour le plaisir d’en user1. » De fait, nous sommes désormais dans le monde de l’hyperconsommation et du jetable, l’ère nouvelle du Plasticocène.

Enchevêtrements littoraux : la vie morcelée des œuvres d’art en plastique

par Katie Lawson, Kirsty Robertson

On les appelle pelotes de mer, égagropiles, boules marines ou de Neptune: ces «organoplasticoïdes dentritiques1», agrégats de matière que l’on trouve sur les rives des lacs et des océans du monde entier, se forment sous l’action du vent et des vagues, mêlant des herbes mortes et d’autres matières végétales pour en faire de denses sphères patatoïdes. Or, de plus en plus souvent, ces agrégats renferment aussi des déchets postconsommation, fils synthétiques échappés de cordages de bateaux et de filets de pêche, rubans d’emballage, morceaux de styromousse, éclats de rebuts divers abandonnés sur les plages. Dans leur danse le long du littoral, les boules de Neptune piègent du plastique qui autrement finirait dans l’eau, où la combinaison des vagues et de la photodégradation le briserait en fragments et filaments plus petits et insaisissables. Au fil des saisons, ces étranges cousines des boules du désert – les tumbleweeds des westerns – accumulent de la matière, se densifient et s’emmêlent toujours plus.

Chairs plastiques

par Anne-Marie Dubois

Qu’ont en commun le bisphénol A, les phtalates, les alkylphénols, le triclosan et les composés perfluorés ? Outre leur nomenclature pour le moins hermétique, tous sont des polymères synthétiques qui ont définitivement infiltré le corps humain. Produits nettoyants, cosmétiques, parfums, vêtements, articles de cuisine et emballages alimentaires, tout ce qui nous entoure contient des matières plastiques. La constance insurpassée de leur profil moléculaire conjuguée à un cout de production dérisoire en a fait le Graal des industries du 20e siècle, la matière première du capitalisme avancé.

Fantastique le plastique ?

par Annemarie Kok

À la Biennale de Venise de 2019, les visiteuses et visiteurs du pavillon de Venise ont eu l’occasion de pénétrer dans un tunnel gonflable constitué d’une membrane translucide en plastique. Le tube reposait sur une fine nappe d’eau et se faufilait entre 12 sculptures en marbre de Fabio Viale, répliques des pieux en bois (briccole) qui émergent de la lagune de Venise et servent de balises de navigation. Plantés dans l’eau et évoquant des « figures d’exode », ces pieux rappelaient peut-être aux visiteuses et visiteurs la menace croissante de la montée des eaux liée au changement climatique. Le tunnel, quant à lui, leur offrait l’expérience onirique – voire salvatrice – de marcher sur l’eau, tout en les invitant à explorer la « fusion » de l’architecture, de l’air, de l’eau et de l’horizon.

Maria Chekhanovich Nerssesian

par Noémie Fortin · trad: Oana Avasilichioaei

Dans son atelier-laboratoire, Maria Chekhanovich Nerssesian (Miri Chek) concocte des sculptures organiques, biodégradables et comestibles. Elle mélange glycérine, eau et poudres de plantes, d’algues et de résidus alimen- taires pour créer un plastique non pétrochimique qu’elle peut mouler, fondre et remodeler à l’infini. Ses premières expérimentations avec les bioplastiques ont donné forme aux trous et fissures que le dégel laisse sur la chaussée, en remplissant les « espaces négatifs » du paysage urbain de ce matériau flexible.

Geneviève Cadieux

par Ji-Yoon Han

Une bouche monumentale, solitaire, les lèvres ridées légèrement entrouvertes et tremblantes, remplit de son rouge vif un panneau d’affichage publicitaire perché sur le toit du Musée d’art contemporain de Montréal. Une ecchymose violacée, dont la tache informe est agrandie à l’échelle d’un paysage, est juxtaposée à un ciel de fumée et d’orage. Un couple, sous l’œil inquisiteur et invisible de multiples appareils photo, est absorbé par une chorégra- phie muette de gestes, de ceux qui disent tout quand tout a été dit, quand les regards ne se croisent plus. Mais encore, une fabuleuse anémone flotte dans un noir d’encre comme dans un songe. Un arbre esseulé, échevelé dans le vent. Puis un autre, à 15 ans d’intervalle, littéralement pétrifié. Le vertige d’une nuit étoilée qui scintille, hallucinante, au-dessus d’un désert aride.

Álvaro Urbano

par Connor Spencer

Tableau vivant