Accentuer cette perception. Pourtant, les ouvrages proposant des réflexions de fond sur ses problématiques les plus actuelles se font rares, du moins dans le contexte universitaire canadien.
(Re)voir la peinture
La peinture vue par la critique ou le regard critique de la peinture
Réactualisations de la peinture en temps numériques
À défaut de pouvoir fréquenter assidument les musées, les centres d’artistes autogérés ou les galeries institutionnelles, qui auront été fermés au public pendant une bonne partie de la dernière année, deux endroits auront permis de (re)voir de la peinture en 2020 : les galeries privées, d’une part, et l’espace numérique, d’autre part. L’ouverture ininterrompue des premières, qui font généralement une place de choix aux pratiques picturales, relève de l’exception marchande, stratégie du gouvernement provincial qui s’inquiétait plus d’encourager la relance économique que d’assurer un accès généralisé à la culture en temps difficiles, et ce, alors que la fréquentation des musées représente un faible risque pour la propagation de la COVID-19.
La peinture d’outre-tombe
En 2012, à l’occasion de la publication par la revue Esse d’un numéro entièrement consacré à la peinture, paraissait mon premier article sur la disparition et la renaissance cycliques de cet art parmi les formes expressives qui comptent1. À partir de cette impression qu’une technique peut se retrouver dans les limbes – entre la vie et la mort, pour ainsi dire –, j’en venais naturellement à considérer dans mon texte l’analogie du mort-vivant, du zombie, pour traduire l’idée que les peintres avancent à tâtons vers la reconnaissance artistique et la trouvent par hasard, au gré d’un sort jeté par les forces dominantes du marché. Incidemment, peu de temps après la parution de cet article, de nouvelles tendances ont commencé à se répandre depuis New York en appui à de jeunes artistes dont les œuvres, bien cotées sur le plan commercial, demeurent pourtant superficielles. Les premières apparitions de ce courant, abstraites, ont reçu l’étiquette de «formalisme zombie» et les suivantes, plus illustratives, celle de «figuration zombie».
Corps narratifs et intimité dans la peinture figurative contemporaine
Le retour de la peinture périodiquement annoncé depuis 10 ans fait généralement peu de cas du style figuratif, ses adeptes étant surtout porté.e.s par un gout pour l’innovation et pour l’hybridité des genres. Pourtant, cet emploi traditionnel de la peinture ne semble pas avoir été délaissé; sa ductilité réceptive, qui permet d’arrimer un échange réflexif entre regardeur ou regardeuse et représentation, sait inspirer les artistes en tout temps.
Damien Cadio
Les peintures récentes de Damien Cadio – de la série des natures mortes florales à celle qui s’intitule Nuit de l’Histoire, toutes deux en cours depuis 2016 – façonnent un panorama en déliquescence composé de figures rémanentes, tels de maigres lambeaux qui subsistent dans l’ombre de situations grandiloquentes. En donnant à voir un monde sous le joug de l’entropie, ses œuvres suscitent un ensemble de réflexions sur les enjeux de la peinture tout en explorant la crise contemporaine de nos représentations. Sans en faire le récit ou l’illustration, elles mettent en scène un territoire où «nos pensées se mettent en colère1 », comme le dirait l’anthropologue Marc Augé. À l’accélération marquée des flux de capitaux, de biens et de personnes, la peinture de Cadio oppose sa temporalité lente, presque déphasée. Elle suggère par là d’adopter un regard critique devant les réseaux exponentiels des apparences mondialisées. En nous en offrant quelques fragments silencieux, elle demeure un langage foncièrement contemporain.
Tendre l’oreille à la matière picturale
Il existe un langage qui s’arrime à la sensation et abolit les frontières entre la voix et l’image. «Toute forme est, comme dit Pierre Schneider, voix vive1.» Qu’est-ce qui caractérise cet espace décloisonné? Une résonance particulière qui «plonge ses racines dans une zone du vécu échappant aux formules conceptuelles et qu’on ne peut que pressentir ». La voix et l’image sont travaillées par cette même résonance capturée par le biais d’un «œil-écoute3», organe hybride captant le monde sensible et multipliant les possibilités de la forme. Tisser un dialogue entre l’image et la voix revient à faire ressurgir les effets de cette résonance. Tendre l’oreille à la matière picturale revient à aiguiser notre faculté d’écoute en vue de capter ce que l’image partage avec la voix : une même forme d’énergie «qui échappe à toute saisie4 », une excédence intangible et substantielle, une trace subtile, traversée et traversante.
Cinga Samson
Cindy Phenix
Carl Trahan
La nuit est aussi un soleil