Voix

Poétique de la voix

par André-Louis Paré · trad: Käthe Roth

Dans un texte intitulé Der Erzhäler, traduit en français par Le conteur1, le philosophe Walter Benjamin (1892-1940) avance une thèse étonnante à propos de l’expérience et de la sagesse. S’appuyant sur l’oeuvre du conteur russe Nikolaï Leskov (1831-1895), Benjamin émet l’hypothèse suivante : «L’art de conter est en train de se perdre. » Il se perd, suggère-t-il, parce que « la faculté d’échanger des expériences », de transmettre par la voix une sagesse est de moins en moins communicable. Au dire de ce penseur, ce qui nuit à l’art de conter des histoires et à la tradition orale, ce sont principalement les « progrès de l’information ». Condamnée à décrire la réalité la plus immédiate, l’information se détourne du merveilleux, des « histoires remarquables ». Écrit en Allemagne, au début de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’usage de la voix, amplifiée par les microphones, devient un instrument inouï capable de galvaniser une masse d’individus, cet essai de Benjamin suggère aussi que le récit, « forme artisanale de la communication », doit trouver au sein de la modernité un nouveau souffle.

L’art de donner la parole

par Véronique Hudon · visuels: Kamissa Ma Koïta, Elena Stoodley, Aisha Sasha John · trad: Jo-Anne Balcaen

L’armation de voix singulières au sein d’échanges collectifs ne va pas de soi. Les discussions publiques sont souvent articulées autour d’impératifs de visibilité plus ou moins conscients qui sont liés à diérents enjeux de pouvoir. Les tables rondes, discussions et conférences sont des formes couramment associées à la transmission du savoir scientifique, dont l’autorité s’appuie sur le langage à travers une rhétorique d’une apparente neutralité. En opposition, le recours à la parole comme médium artistique met en évidence la dimension performative de cet acte de langage.

Entendre les voix : la justice dans le travail de Susan Philipsz et Sharon Hayes

par Jake moore · visuels: Sharon Hayes, Susan Philipsz · trad: Catherine Barnabé

La voix dépasse une sensation singulière et appelle à l’unification du corps et de l’esprit, car elle possède le potentiel d’une reconnaissance concrète. Une voix n’a pas besoin d’être sonore, mais elle doit être reçue afin de se matérialiser pleinement, car une fois que nous recevons la voix de l’autre, nous reconnaissons la présence de l’être. Ne vous méprenez pas, ce n’est pas que les êtres ne sont pas présents tant qu’ils ne sont pas reconnus, mais plus précisément que notre échec à considérer leur présence représente un manque.

Témoignage, silence et chant

par Paul Grace · visuels: Werner Herzog, Joshua Oppenheimer, Juan Manuel Echavarría · trad: Maryse Arseneault

La représentation de la souffrance agit dans l’espace entre la blessure et le bien-être. Les efforts de représentation sont tiraillés entre l’impératif de connaître et l’impossibilité d’éprouver la douleur d’autrui : la représentation ne peut pas transmettre la douleur, mais doit susciter un désir de la comprendre. Au cinéma, cette activation d’une recherche imaginaire chez le spectateur peut conduire à une interrogation sur la propension de distanciation du médium cinématographique. La souffrance est projetée sur un écran qui peut devenir barrière plutôt que portail. Les images peuvent ne conserver qu’une trace spectrale de ce qu’elles dépeignent, et pour que le spectateur ne reste pas qu’un voyeur muet de la souffrance d’autrui, une proximité perceptive compensatoire doit s’établir. Reste à savoir si la voix souffrante peut amplifier l’image afin de transcender les artifices de la représentation et instaurer une certaine proximité incarnée avec la souffrance.

Tremble Staves : tendre l’oreille au voix de l’eau

par Joëlle Dubé · visuels: Raven Chacon · trad: Luba Markovskaia

Le compositeur navajo Raven Chacon a créé l’oeuvre Tremble Staves, une pièce performative où guitariste, percussionnistes, narratrice et spectacteur·rice·s convergent dans un lieu en ruines auprès d’une grande étendue d’eau. En 2019, la partition a été interprétée sur le site des bains Sutro au bord du golfe des Farallones. L’environnement favorisait un dialogue entre eaux vives et eaux stagnantes, entre public et interprètes, entre savoirs autochtones et expériences artistiques.

Images-témoins et spéculation chez Sanaz Sohrabi, Fanny Latreille et Simon Belleau

par Emmanuelle Choquette · visuels: Sanaz Sohrabi, Fanny Latreille, Simon Belleau · trad: Bernard Schütze

Depuis l’émergence de l’art archivistique, vers les années 1990, les artistes ne cessent de chercher de nouvelles formes d’engagement avec les sources documentaires. À cet égard, le développement d’un champ de pratique artistique associé au reenactment répond à une volonté de « rejouer l’histoire pour en interroger ses processus de fabrication, ses généalogies et le pouvoir de ses représentations. » Cette notion de « rejouer» semble a priori impliquer la référence à un modèle, ou un original, mais cette relation de simulacre ne va pourtant pas de soi, et les décalages introduits par les artistes participent à une réécriture de l’histoire incarnée.

Écouter pour voir

par André-Louis Paré · visuels: Kader Attia, Moridja Kitenge Banza, Chloë Lum, Yannick Desranleau, Geneviève, Matthieu · trad: Bernard Schütze

La voix humaine est d’abord uniquement audible. Elle ne se voit pas, elle s’entend. Elle s’extériorise grâce au souÌe émis par les poumons et s’exprime grâce au larynx et aux cordes vocales. La voix, ou plutôt les voix, en plus de manifester des émotions, permet de communiquer des idées, de raconter des histoires. Parfois, sous forme de légendes, ces histoires tissent des liens avec un passé où réalité et imagination se confondent. C’est aussi à travers ce langage articulé, où son et sens s’associent, que la voix se fait fréquemment entendre.

L’arrêt de la voix. Entretien avec Jérémis Nicolas

par Florian Gaité · visuels: Jérémie Nicolas · trad: Oana Avasilichioaei

Réalisée dans le cadre de sa thèse en recherche-création, l’installation sonore de Jérémie Nicolas met en oeuvre les silences qui ponctuent le(s ?) témoignage(s) de harkis. Ces Algériens engagés, volontaires ou contraints par les circonstances, aux côtés de l’armée française durant la guerre d’indépendance (1954-1962), ont ajouté à l’horreur de la guerre la violence du rejet qui en a suivi, ayant été à la fois exclus dans leur pays et abandonnés par la France. La suspension de leur parole, leurs hésitations ou leurs incapacités à dire sont ici amplifiées et composées, données à entendre comme des événements musicaux en soi, qui font résonner autrement l’Histoire.

Opacité vocale

par Alexandre St-Onge · visuels: A.A.G.G.

La voix est omniprésente dans mon travail qui éprouve la mutation du corps performatif à travers ses médiations sonores, textuelles et visuelles. Si la voix est un instrument intimement lié au corps qui représente un point d’articulation fertile entre la corporéité et le son, elle performe également une altération de la source organique qui devient ondes sonores. En eet, la voix qui s’échappe du corps devient une entité spectrale qui occulte son origine pour être entendue par d’autres corps animés ou inanimés comme des microphones, entre autres.

Af-Flux: Biennale Transnationale Noire Le monde bossale / The Bossale World

par Didier Morelli · visuels: Jérôme Havre, Cécilia Bracmort, Michaël Sergile, Ifeoma Anyaeji, Sharon Norwood, Amanda Préval

Seen from the sidewalk, through gallery Art Mûr’s windowfront, Philipe Thomarel’s acrylic painting Pontif 31 (2021) sets a sombre tone. Imposing in scale, the cloudy scene of a shadowy bridge over tumultuous water emanates a stormy aect. Stapled directly onto the gallery wall, the canvas appears rough, worked over and raw. Streaks of black paint drip down the surface of the image, breaking up the landscape structure to create fluid energy. This moving piece, depicting a human-made structure over troubled waters, is an invitation into the natural world. To follow the bridge into a sea of froth, clouds, and mist feels like both an act of trust and a promise of untold journeys.

17e édition de la Biennale de l’Image en Mouvement : “A Goodbye Letter, a Love Call, a Wake-Up Song ”

par Joan Grandjean · visuels: Grau, Sabrina Röthlisberger Belkacem, Simon Fujiwara, Will Benedict, Steffen Jørgensen, Hannah Black, Juliana Huxtable, And Or Forever, DIS

Après une édition annulée, la Biennale de l’Image en mouvement (BIM) revient dans le grand fracas du monde. Andrea Bellini, directeur des lieux, a invité DIS, l’un des collectifs commissarials parmi les plus erontés de la création artistique contemporaine, pour concevoir ensemble cette 17e édition au Centre d’Art Contemporain (CAC) de Genève.

BGL: Two Thumbs Up Arts and Crafts

par Ray Cronin · visuels: Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère, Nicolas Laverdière

For twenty-five years, the Québec-based artist collective BGL (Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère, Nicolas Laverdière) have been making sculptures that push the boundaries of the medium, of the institutions in which they exhibit, and the art world that provides their context. Along the way, audiences have been enthusiastic participants in their joyous, serious, beautiful, and ultimately, thoroughly engaging installations and exhibitions. That BGL leave no one, and no thing behind, is apparent in their recent exhibition Two Thumbs Up Arts and Crafts.

’’How long does it take for one voice to reach another?’’

par Julia Eilers Smith · visuels: Betty Goodwyn

As visitors walk up to the group exhibition “How long does it take for one voice to reach another?” on the third floor of the Montreal Museum of Fine Arts, Betty Goodwin’s enormous Triptych may escape notice entirely. The three-part sculpture, permanently installed in 1991 for the inauguration of the Jean-Noël Desmarais Pavilion, is comprised of a giant bronze ear facing, on the opposite wall, a reflective metal structure in the shape of a megaphone. And below this, all the way down to the basement level, are lines of text in large stainless-steel letters embedded in the ground.

Postcommodity: Time Holds All the Answers

par Jake moore · visuels: Postcommodity

Time Holds All the Answers begins with the relations and the lands that form its actuality not its context. This is the largest exhibition to date that Postcommodity has undertaken, the interdisciplinary art collective currently comprised of Kade L. Twist, a member of the Cherokee Nation, and Cristóbal Martínez, Mestizo of Genizaro, Pueblo, Manito, and Chicano heritage. Dr. Gerald McMaster curated and produced the exhibition through his Wapatah Centre for Indigenous Visual Knowledge.

Alexandra Bircken : Fair Game

par Amélie Laurence Fortin · visuels: Alexandra Bircken

S’introduire dans l’installation monumentale Fair Game d’Alexandra Bircken, présentée dans la chauµerie (Kesselhaus) du centre pour les arts contemporains KINDL, à Berlin, c’est comme ouvrir la première page d’un polar. Un genre qui a d’ailleurs fait la marque de cette artiste allemande aguerrie formée comme styliste au Central St. Martins College of Art and Design de Londres, au début des années 1990, et qui partage maintenant sa vie et son travail entre les villes de Berlin et de Munich.

L’énigme autodidacte

par Bénédicte Ramade · visuels: Alain Duperron

Penser l’autodidaxie en art, de nos jours, c’est presque exclusivement se référer à des pratiques labellisées « art brut » ou art « outsider», s’intéresser aux marges, aux intentionnalités complexes, et ce, jusqu’à pratiquer des analyses quasi psychiatriques. C’est aussi ce que l’exposition, commissariée par l’historienne de l’art Charlotte Laubard, fait avec subtilité, tout en invitant dans la conversation, et c’est sa grande originalité, des artistes considéré·e·s professionnel·le·s par le marché et les institutions, selon une logique qui interroge l’incidence des pairs, ces critiques d’art qui font de quelques autodidactes de « parfaits » artistes.

Chris Boyne : A. Conveyor

par Élisabeth Recurt · visuels: Chris Boyne

Si l’intérêt de l’artiste interdisciplinaire Chris Boyne pour le domaine maritime a déjà été démontré, cette installation présentée chez Skol met plus précisément à jour des réflexions socio-économiques par la mise en espace d’artefacts d’un cargo démantelé. Comme pour chacune de ses missions, l’artiste a d’abord déterminé les paramètres d’un protocole de recherche et de réalisation à la base de cette oeuvre conceptuelle. Il a ici pour objectif d’examiner le processus de démantèlement de navires en retraçant le parcours de l’Atlantic Conveyor.

Mindy Yan Miller : seeing and not seeing and other recent work

par Amanda Lou · visuels: Mindy Yan Miller

Mindy Yan Miller is a Saskatchewan/Montréal-based artist whose fiber work centres on themes of commodification, labor, and loss. Her practice is to create installations, using found materials such as used clothing, human hair, coke cans, and more recently cowhides. Her exhibition at Montréal’s Produit Rien, curated by Andrew Forster, combines her recent projects entitled seeing and not seeing (2018), made of cowhides and plexiglass, with Mother and Child (2016) and Portal (2019). The work leads the viewer through a space of grief, engaging one in somatic experiences of repulsion and attraction, softness and hardness, invitation and warning, as well as presence and absence. It makes one feel uncomfortable: rather than resisting or classifying discomfort, it embraces complexity.

Adam Basanta : Futurs possibles

par Sylvain Campeau · visuels: Adam Basanta

La palette des possibles pour Adam Basanta semble large. Très large. Les machines et les objets qu’il expose témoignent de cette capacité à imaginer comment la technicité inhérente à notre actuel mode de vie peut, lorsque mise en relation avec des objets et des processus inattendus, mettre au jour, sur un mode ludique qui les revitalise, des enjeux très profonds. Basanta excelle à suggérer des dispositifs, ou à évoquer dans la teneur des travaux présentés — je pense ici à Landscape Past Future, montrée une première fois à la galerie Ellephant (Montréal), à l’automne 2019 —, des énergies révélatrices de la nature de notre mode actuel de fonctionnement.

Ubuntu, un rêve lucide

par Marie Siguier

« Ici nous portons tous les rêves du monde». Sur la façade du Palais de Tokyo, le néon de Joël Andrianomearisoa, inspiré d’un poème de Fernando Pessoa, appelle à la puissance subversive des rêves diurnes et de la philosophie ubuntu, terme issu des langues bantoues du sud de l’Afrique, qui pourrait signifier «Je suis parce que nous sommes ». Rassemblant une vingtaine d’artistes issus du continent africain et de ses diasporas, pour la plupart rarement présentés en France, l’exposition Ubuntu, un rêve lucide invite à investir la charge émotionnelle de cette « pensée du possible et de la réciprocité », à « faire humanité ensemble et ensemble habiter le monde1 ». Décentrer les regards, décoloniser les imaginaires en ces temps de replis, d’injustice sociale, d’inégalité, de violences systémiques, oeuvrer à la co-construction de devenirs communs irrigue ainsi la réflexion de la commissaire Marie-Ann Yemsi.

Alexia Laferté Coutu : Sanatoriums

par Jean-Michel Quirion · visuels: Alexia Laferté Coutu

L’artiste Alexia Laferté Coutu présente, à Occurrence, Sanatoriums, sa plus récente exposition qui se consacre aux traces et aux cicatrices laissées dans la société à même les surfaces d’architectures historiques. Notre quotidien, en raison des normes sanitaires imposées depuis le printemps 2020, est maintenant marqué par la distanciation et l’isolation. À travers des intervalles de mesures sanitaires, nous arpentons autrement ce qui nous entoure. Nous observons diµéremment les stigmates laissés par le vide.

Les yeux dans l’eau

par Ariel Rondeau · visuels: Tania Love, Maude Deslauriers, Gaëlle Elma, Kelly Jaclynn Andres

Alors que l’avenir écologique et la souveraineté de l’eau demeurent des préoccupations phares de notre époque, la Galerie d’art Foreman présente Les yeux dans l’eau, exposition comportant également un second volet au Centre en art actuel Sporobole. Commissarié par l’autrice et commissaire indépendante Geneviève Wallen, ce projet réunit, à la galerie Foreman, le travail de quatre artistes québécoises et canadiennes : Tania Love, Maude Deslauriers, Gaëlle Elma et Kelly Jaclynn Andres.

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