Encore un numéro sur les châteaux? Le touriste, le téléspectateur, l’amateur de beaux livres, l’internaute n’ont que l’embarras du choix pour se documenter sur l’un des symboles majeurs du Moyen Âge. À Guédelon, en Bourgogne, on peut même visiter un château du XIIIe siècle en cours de construction selon les techniques de l’époque, nous dit son site internet. Mais beaucoup des informations qui circulent sont reprises de données souvent anciennes et pas toujours fondées sur une documentation solide. Nous proposons ici un panorama des recherches actuelles en France, associant synthèses et monographies s’appuyant sur les sources de l’époque, du parchemin à l’image, de la terre à la pierre, sans négliger les modes de transmission du savoir et des monuments qui en ont fait un mythe.
Les châteaux forts en France
Les racines des châteaux forts
L’imaginaire – la quatrième dimension des châteaux forts
L'archéologue, l’historien ou l’architecte ont leur propre idée du château : leur science commune est la castellologie, qui cherche à comprendre un phénomène du passé à travers ses traces et sa mémoire. Mais cet objet leur échappe bien souvent du fait de l’imaginaire qui l’entoure depuis sa naissance vers l’an mille. L’école et la culture de masse ont façonné leurs propres représentations, parfois très éloignées de la vérité historique. Il n’est même pas sûr que les spécialistes en soient vraiment conscients.
Petit lexique à l’usage des amateurs de châteaux
Qu’est-ce qu’un château fort? La vision française
Le château fort, image de bois, puis de pierre, d’une société aristocratique qui s’est ruralisée, apparaît en Europe occidentale vers l’an mille ; le phénomène va perdurer cinq siècles durant avant de s’éteindre. Le monde antérieur avait connu des forts de garnison aux confins des États et des empires, des enceintes de ville, mais jamais ce programme architectural inédit, à la fois résidence privée et forteresse publique pour les gens du domaine, symbole de domination sur les hommes et sur la terre, lieu de justice et centre d’exploitation agricole, mais aussi, peut-être surtout, architecture pour la «montre». Parce que la part du symbole est déterminante dans l’élaboration de ses formes, le château est prioritairement une architecture de l’ostentation, faite pour être vue du dehors. Ainsi, une part importante des signes de féodalité – mâchicoulis*, meurtrière, crénelage, qui contribuent à sa silhouette caractéristique défiant parfois les lois de l’équilibre – peuvent ne pas avoir de valeur d’usage ou de fonctionnalité propre.
Qu’est-ce qu’un château fort? La vision allemande
L’Europe est parsemée de châteaux forts. On estime qu’il y en a plus de 25 000 en Allemagne et la France devrait en compter autant. Ces monuments font l’objet de recherches scientifiques intensives, mais ils attirent également des visiteurs passionnés de tous âges. La castellologie a connu une forte évolution ces dernières années, contribuant ainsi à renouveler les connaissances quant à l’image du château fort médiéval et à sa survie à l’époque actuelle. En Allemagne, un musée des châteaux forts est en cours de réalisation; il offrira aux visiteurs les informations les plus complètes sur la question et abritera un centre de recherche de tout premier plan.
Histoire et fonction des châteaux forts
Qu’est-ce qu’un château? L’homme de la rue vous dira que c’est une forteresse en pierre, dominant depuis une éminence les paysages et les hommes en ces temps médiévaux où le droit du plus fort était la règle. Mais on oublie que cette période a aussi construit les cathédrales et les abbayes, inventé l’université, développé les villes, pour ne s’en tenir qu’aux clichés. Pour l’historien, le château est une réalité complexe, qu’il est difficile de définir d’une formule qui tienne compte de la chronologie, de la hiérarchie sociale, des variantes typologiques et régionales. Son âge d’or est toutefois le XIIIe siècle et les édifices de cette époque donnent du sens à un phénomène de longue durée.
Le château de Montfaucon d’après les sources écrites
Le château de Montfaucon (Doubs) situé sur une des collines du faisceau bisontin porte le nom éponyme d’un grand lignage qui a joué un rôle important dans le comté de Bourgogne, du XIe au XVIe siècle, par ses alliances et son emprise territoriale. Délaissé comme forteresse à l’époque moderne, il tombe en ruine en même temps que se mourait le bourg construit à ses pieds. Depuis un quart de siècle a été entreprise la sauvegarde de ses vestiges, englobant la porterie du bourg, l’ancienne église paroissiale et la butte castrale. Parallèlement à la prospection archéologique, un dépouillement systématique des sources écrites et iconographiques portant à la fois sur les périodes médiévale et moderne et même au-delà de la Révolution, a permis la constitution d’un important dossier documentaire. Ainsi, nous pouvons mieux évaluer l’apport historique pour la compréhension du site.
Le Guildo (Côtes-d’Armor). Archéologie d’un château breton
Le château du Guildo est situé sur la côte nord de la Bretagne, au fond de l’estuaire du petit fleuve côtier Arguenon qu’il domine d’une vingtaine de mètres. Peu documenté par les sources écrites, abandonné avant la Révolution française, le château est quasiment absent de l’historiographie bretonne. L’étude menée depuis plus de quinze ans fournit des éléments de premier ordre pour la connaissance des châteaux bretons, et éclaire la riche histoire de la Bretagne médiévale.
Le château de Boves et ses entrailles archéologiques
En venant à Amiens par le train, on peut apercevoir deux pans d’une tour ruinée sur une grande motte surplombant la falaise de l’Avre. Ce château, dont les seigneurs terrifièrent souvent les bourgeois de la cité picarde, fait l’objet d’un programme de recherche porté par l’université de Picardie depuis 1996. Le chantier de Boves, c’est 15 ans de fouille, 450 fouilleurs, 5 000 unités stratigraphiques (contextes), 80 ensembles archéologiques pour 7 phases, jusqu’à 2,50 m d’épaisseur stratigraphique…
Dessine-moi un château! Les forteresses imaginaires des manuscrits enluminés
Les enlumineurs des XIVe et XVe siècles, qui travaillaient pour la haute noblesse, ont laissé des châteaux une image idéale: à la fois forts et beaux, élevés vers le ciel, juchés sur des éminences qui mettent en valeur le haut rang de leurs occupants, ils sont indestructibles. Ils reflètent l’orgueil de ceux qui dominent le monde et qui, non contents d’habiter un château et d’en contempler l’image dans leurs manuscrits précieux, aiment aussi à voir reproduites en miniature, dans la vaisselle d’apparat et dans les plats complexes des festins (châteaux de sucre ou de pâte), les forteresses qui leur servent d’icône et auxquelles ils s'identifient.
La basse-cour. Le château hors du château
Très rarement investie par l’enquête archéologique ou l’étude monumentale, l’aire où se tiennent les structures annexes du château, la basse-cour qui abrite des dépendances ou même une agglomération villageoise constitue cependant un élément indissociable.
La vie au château pour ceux qui viennent y travailler
La vie quotidienne dans les châteaux au Moyen Âge est surtout perçue à travers celle du seigneur et de sa famille. Dans les études ou les ouvrages relatifs à ce sujet, il est parfois question des serviteurs qui sont au service et dans l’environnement immédiat du maître des lieux. Ces gens exercent une activité spécifique correspondant aux besoins et à la vie noble de leur maître. Ils sont cuisiniers, palefreniers, gardiens de la meute… Ils suivent le seigneur et font partie du «train seigneurial» que les textes appellent l’hôtel du seigneur (hospitium domini). Pourtant, en dehors de la présence seigneuriale, il y a une vie au château dans laquelle les gens des environs s’activent au rythme des contingences régulières et des imprévus de toutes sortes. Ils trouvent ainsi un moyen d’améliorer leur ordinaire.
Château et politique territoriale
On croyait tout savoir sur le chancelier Rolin, l’une des plus grandes fortunes du XVe siècle. Pourtant, même les synthèses les plus récentes, qui mettent en valeur son oeuvre de mécène comme bâtisseur de l’hôtel Dieu de Beaune, ne disent quasiment rien sur sa prodigieuse collection de forteresses. Depuis quelques années, le Centre de castellologie de Bourgogne tente de renouveler l’approche du personnage en étudiant les vestiges et les archives de ses châteaux.
L’évolution des châteaux - À la recherche des logiques spatiales
Un fouillis de tours, de bâtiments et de remparts dont la géométrie semble défier la logique, voilà comment nous percevons souvent les châteaux médiévaux. Or, une attention particulière portée aux logiques spatiales et géométriques de ces ensembles permet de mieux les comprendre et d’en restituer les cohérences successives.
Le plan idéal du château
Y a-t-il un plan type de château? Oui, si l’on en croit les dessins d’enfants, les jouets, les films, la bande dessinée. Un donjon, des murs avec des créneaux, des tours, un pont-levis, une grande salle chauffée par une cheminée monumentale, des fenêtres à banquettes pour belles princesses mélancoliques, éventuellement un cachot. Non, si l’on parcourt les dictionnaires, ouvrages et revues qui nous fournissent plans et photos; non également si on se promène aux quatre coins de l’Europe ou même seulement dans sa région. À la différence d’autres entités architecturales comme la villa antique ou l’église médiévale, la règle est ici la diversité. Si l’on peut définir quelques grandes familles (mottes, plan régulier centré...), il est en revanche rarissime de rencontrer deux châteaux identiques. Une approche non pas spatiale mais fonctionnelle du château permet toutefois de concilier les deux vues.