Les trois millénaires de l’histoire mésopotamienne n’ont donné qu’une seule réponse à la question de la gouvernance de la société : la royauté. Celle-ci semblait découler de l’ordre naturel des choses voulu par les dieux. Pouvons-nous alors postuler l’existence d’un système politique monolithique inchangé à travers les époques? La réponse est assurément négative – ce que nous nous efforcerons de démontrer dans le présent numéro. Pour ce faire, nous avons choisi quelques figures royales marquantes à travers les époques.
Rois en Mésopotamie
Après le déluge : la royauté descend des cieux
Les rois créateurs de capitales
La civilisation mésopotamienne fut avant tout de nature urbaine. La longévité de certains sites est parfois remarquable, comme dans le cas d’Uruk : première ville connue dans l’Irak méridional, elle a vécu jusqu’à la période hellénistique. Cependant, les souverains n’eurent pas seulement le souci d’entretenir et développer les centres qui existaient déjà : la construction de villes neuves a constitué une des marques du pouvoir royal. Bien souvent, ces fondations avaient un caractère militaire marqué : il s’agissait d’avant-postes situés aux frontières. Cependant, certaines de ces villes neuves eurent un destin particulier: celles qui furent bâties pour devenir la capitale d’un royaume. Il arriva aussi que des souverains choisissent de transférer leur capitale dans une ville qui existait déjà, mais qui bénéficia dès lors d’un prestige supérieur. C’est cette histoire qui est ici passée en revue.
Les rois d’Akkad, le premier empire
Les rois d’Akkad (env. 2350-2200 av. J.-C.) sont les créateurs du premier empire de l’histoire. Il a été constitué à partir de conquêtes menées à grande échelle de l’Iran jusqu’à la Méditerranée et réalisées à l’aide de stratégies militaires innovantes. Ces souverains transformèrent aussi l’agriculture, développèrent de nouvelles techniques de gestion et d’administration, de production artisanale. Ils modifièrent également la religion, l’art et même la langue et l’écriture. Aussi, l’avènement et la chute de cet empire ont marqué deux tournants très importants dans l’histoire du Proche-Orient.
Gudéa le prince pieux
Gudéa, prince sumérien, est peut-être pour nous le personnage historique le plus célèbre de la Mésopotamie après Assurbanipal et Hammurabi surtout à cause de ses nombreuses statues en pierre noire dont une grande partie se trouve aujourd’hui conservée au musée du Louvre. Il nous a laissé l’image d’un chef pieux et pacifique, même «humaniste» lit-on parfois.
Shulgi, un roi omniscient
Le nom du roi Shulgi est associé, dans l’histoire proche-orientale, à la période de restauration de la culture et du pouvoir sumériens, à la fin du IIIe millénaire av. J.-C. Tout semble démesuré chez Shulgi : tout d’abord la longueur de son règne, qui atteint la durée exceptionnelle de 48 années; ensuite, ses multiples activités de souverain, bâtisseur de temples, guerrier menant des campagnes répétées pour assurer les marches-frontières de son empire et superviseur de réformes économiques et bureaucratiques de grande ampleur ; enfin, sa conception de l’idéologie royale, qui fait du roi un être divin qui excelle dans tous les domaines, alliant ainsi une force physique exceptionnelle à une connaissance étendue des arts et des sciences. Shulgi est donc le premier roi du Proche-Orient ancien, avant les rois Lipit-Ishtar (XXe s. av. J.-C.) et Assurbanipal (VIIe s. av. J.-C.), pour ne pas oublier le légendaire Salomon, à se définir comme «roi omniscient».
Le palais, habitat du roi
Les palais royaux mésopotamiens apparaissent durant la première moitié du IIIe millénaire en même temps que l’institution royale issue d’une lente hiérarchisation de la société mésopotamienne qui se dote des outils nécessaires à la gestion des affaires de ce qui n’était plus une simple communauté mais un royaume.
Les symboles du pouvoir royal
Ce que nous savons des symboles du pouvoir royal mésopotamien découle à la fois de l’iconographie et de la documentation écrite. Textes et images ne se recoupent pas toujours, exprimant dans des registres différents les deux facettes d’une même rhétorique politique sur la notion de souveraineté.
Samsi-Addu, conquérant et modèle
Contemporain de Hammurabi, Samsi-Addu réussit au cours de son règne de 33 ans à constituer un vaste empire en Haute-Mésopotamie, en intégrant des cités-États comme Assur, chef-lieu d’une population vouée au commerce à longue distance, en conquérant les plaines fertiles des affluents du Habur, et l’ancien et prestigieux royaume de Mari le long du Moyen-Euphrate et du bas Habur.
Les bédouins de l’époque amorrite
La grande question d’il y a encore trente ans, vers 1982, de savoir si Mari était la dernière ville sumérienne face à l’ouest ou, au contraire, le dernier poste ouest-sémitique face à Sumer s’est résolue, à la lecture de ses archives, comme le fait qu’elle était un témoin de la région du centre, pénétrée de traditions issues de son environnement, à l’ouest comme au sud.
La divinisation royale en Mésopotamie
On oppose souvent l’Égypte à la Mésopotamie par le fait que le pharaon était de nature divine, alors que les rois mésopotamiens auraient été considérés comme de simples mortels. La différence n’est pas aussi tranchée qu’il y paraît.
Hammurabi. Les rois et la justice
Dans la mémoire collective des Français, la figure du roi de justice s’incarne spontanément dans la personne de Saint Louis installé sous le chêne de Vincennes. Ce thème fondateur, transmis à la royauté occidentale par la Bible, s’enracine dans la tradition mésopotamienne et trouve son expression politique et artistique la plus accomplie dans la stèle du Code de Hammurabi, conservée au Louvre. Inspiré par le dieu Shamash, le roi de Babylone y énonce les normes qu’il a instaurées pour ses sujets dans un esprit de droiture et d’équité.
Tukulti-Ninurta Ier. La démesure
Au milieu du IIe millénaire, les rois d’Assur entament une politique qui va progressivement transformer une petite cité marchande en capitale d’un royaume territorial, qui compta au Ier millénaire av. J.-C. parmi les plus grands empires d’Orient. Situé à l’apogée d’une première vague d’expansion, le règne de Tukulti-Ninurta Ier (1233-1197) incarne, dans toute sa démesure, deux figures du roi mésopotamien : le conquérant et le bâtisseur. Sa fin tragique, qui laissa l’Assyrie exsangue, en fait l’un des symboles de l’hybris royale.
Nabuchodonosor Ier et le renouveau de Babylone
Remontée sur le trône de Babylone après l’intermède assyrien de Tukulti-Ninurta Ier, la dynastie kassite était finalement parvenue à réinstaller, dans l’Esagil, la statue de Marduk volée par ce roi. Mais un raid élamite eut raison d’elle au milieu du XIIe siècle: Babylone fut prise, et Marduk connut à nouveau l’exil, cette fois à Suse.
Sennachérib, la rage du prince
Un des souverains les plus fascinants de l’époque néo-assyrienne s’avère être Sin-ahheeriba («Sin a remplacé les frères»), plus connu sous le nom que lui prête la Bible, Sennachérib. Cette dernière le mentionne très négativement car il détruisit de nombreuses villes de Judée et installa un siège devant Jérusalem. Son image dans la Bible influença des auteurs modernes tel Byron qui le compara à un loup attaquant des troupeaux de moutons sans défense. Il est aujourd’hui surtout connu comme le roi qui détruisit la capitale intellectuelle et culturelle de l’époque, Babylone, ce qui indigna à la fois les Babyloniens et les Assyriologues.
Rois visibles, rois inaccessibles
Les empereurs assyriens, maîtres d’un État englobant tout le Proche-Orient, représentants de la divinité Assur sur terre, doivent à la fois s’exposer à l’admiration et être protégés. Par nature, ils sont distincts des hommes comme le montre un texte (VIIe s. av. J.-C.) décrivant leur création : «(Le dieu) Ea prit la parole, disant à (la déesse) Bêlet-ilî : “Tu es Bêlet-ilî, la soeur des grands dieux, c’est toi qui a créé l’homme, l’humain. Fabrique maintenant le roi, le conseiller!”»
Assarhaddon et Assurbanipal. La collecte des savoirs
La figure du roi lettré fut mise en avant dès le IIIe millénaire dans le discours officiel entourant l’exercice de la royauté. De fait, dès l’époque paléo-babylonienne (XVIIIe-XVIIe siècles), la plupart des rois avaient appris «l’art du scribe». Il fallut cependant attendre l’époque néoassyrienne (VIIe siècle) pour que les grands rois d’Assyrie Assarhaddon et Assurbanipal collectent à Ninive, leur capitale, les textes représentant l’ensemble des savoirs de leur temps, rassemblant ainsi la plus importante bibliothèque de l’Antiquité mésopotamienne.
Les rois chasseurs. Image et symbolique
À Kalhu (actuelle Nimrud), les murs de la salle du trône du palais d’Assurnasirpal II étaient couverts de scènes de chasse au taureau et au lion. Le roi, depuis son char ou à pied, est montré en train d’abattre de nombreux animaux. Le fait que cette décoration se trouvait dans la salle du trône est loin d’être anodin : en effet, la victoire du roi sur ces deux animaux tient une place particulière dans l’idéologie royale, et cela dès les origines de la civilisation mésopotamienne.
Nabonide, le roi archéologue
Nabonide (556-539 av. J.-C.) fait partie des figures royales mésopotamiennes qui ont une place à part. Deux raisons à cela : d’abord, parce qu’il est le dernier roi d’une Mésopotamie indépendante. Après lui, le royaume de Babylone fut intégré à différents empires : perse achéménide, puis macédonien, et enfin parthe. Il s’attache donc à Nabonide l’image du «roi maudit», dernier souverain de sa dynastie, incapable de résister face à l’envahisseur et abandonné par les dieux. En outre, Nabonide a survécu à l’oubli général dans lequel a été plongée l’histoire de la Mésopotamie, en raison de sa présence dans la Bible, où il a cependant été confondu avec Nabuchodonosor (605-562); le fameux Balthasar du livre de Daniel était en effet fils de Nabonide. De nos jours, la célébrité de Nabonide est liée à deux éléments : sa dévotion au dieu-Lune, à laquelle son séjour de plusieurs années dans l’oasis de Teima en Arabie est sans doute lié, et ses activités archéologiques.
La reine en Mésopotamie. Cette femme trop peu connue
En 1989, des archéologues irakiens découvraient sous le sol d’une pièce d’habitation du palais de Nimrud (l’antique Kalhu) les caveaux funéraires de trois épouses des grands rois assyriens Assurnasirpal II, Tiglat-phalazar III et Sargon II. Qu’aurait-on su de ces femmes sans cette découverte? Aucune inscription ne les mentionnait jusqu’alors. Sur les 3 000 ans de l’histoire des royaumes mésopotamiens, beaucoup de noms de reines, même celles des plus grands rois, sont tombés dans l’oubli. Le rôle des reines était pourtant loin d’être négligeable : les archives exhumées dans les palais d’Ébla, de Mari et de Ninive livrent sur plusieurs d’entre elles de vivants témoignages.
Des princesses prêtresses
Au VIe s. av. J.-C., le «roi archéologue» Nabonide voulut renouer avec l’ancienne tradition, alors délaissée depuis près d’un demi millénaire, d’introniser une princesse comme «grande prêtresse» du dieu-Lune Nanna dans l’antique sanctuaire sumérien d’Ur.