"La fuite originelle, la bonde arrachée d’un coup et la matrice qui lâche, une dépression, la première déjà, insupportable et nécessaire, pas la dernière. Des barreaux tout autour de ton lit, des tentatives d’évasion et des chutes. Puis ça ressemble à l’adolescence. Tu cours avec les poumons en bandoulière, dans..."
Fuir
ÉDITO
Six mois de détention pour deux délits de fuite
"(désert) Une longue plaine aride, des cailloux blancs, un panneau : « à chaque pas en avant, autant de coups seront portés » la nuque brûlante et rouge, la main qui passe sur les perles de sueur, le chapeau rond qui tourne, la voiture verte rouillée aux..."
Réglement intérieur
"Inhabité d’une existence nouvelle, l’épuration commence. / Le réceptacle, déterminant de lui-même son inaptitude à la réalisation de son destin biologique, engage le processus d’assainissement. / Ce qui fut voué à un autre s’annule, s’abîme, se libère, se répand enfin. / Programmation non informatisée, imputable aux seules règles naturelles, véritable cerveau invisible, puissance..."
La différence
"Tu montes dans des trains bourrés de bureaucrates / En costume cravate caissons blindés / Qui se laissent bercer comme toi par l’ignorance de la vitesse / Tu mets des écluses des échangeurs des bornes kilométriques à ton compteur / Tu t’engouffres dans des ports, des zones d’ombres et de chaos / Tu chevauches avec des brigands, tu t’ébroues dans le galop / Ébouriffant ; et tu..."
S’évader encore
"bras, yeux perdus, gisant, j’ai tant fui, couché, j’aurais définitivement voulu une mort verticale, la fulgurance plutôt que cette lenteur qui ramène ses images, ce sépia d’une vie rouillée - kif // sur la plage de Tanger / jusqu’à faire péter la tête / scansion des falaises qui tournent, de la pipe / scansion de la fumée telle une scolopendre / kif // en compagnie de..."
Rouvrez les déroutes
"– Cela commence par la mort et cela finit de même. / – Oui, mais entre-temps, la vie triomphe. / (…), alors je me suis tiré sans coup férir. / Simplement. / Les jambes pendues au cou, le cœur hors de poitrine et les poumons raclant la terre. / De la bave sur le béton (la nôtre) / de la sueur sur le corps (le mien). / Mon haleine se ramassait dans la nuit, / – noires toutes deux. / (Il y a un..."
Ceux qui restent
"Elle ne dit rien. Le regarde s’activer dans la chambre. Vider le tiroir, son étagère, la penderie. J’aurai plus de place pour mes affaires, songe-t-elle. Remplir les deux valises. Deux valises : une à chaque main. Et un petit sac à dos. Elle le regarde. La façon dont il étale ses chemises sur le lit, rabat les manches, plie. Ce n’est pas ainsi que l’on plie les chemises. Elle voudrait lui..."
Séduc’tif
"- Et voilà ! s'exclama Mme Génin, la coiffeuse, en orientant le miroir de manière à ce qu'Antoine puisse se regarder entièrement. J'ai bien dégagé le front et les oreilles, s'extasia la coiffeuse. C'est très réussi ! / Antoine n'entendait déjà plus. Tout ce qu'il voyait, c'était deux oreilles de chou énormes, un front blême et son sourire niaiseux sur une dentition imparfaite. Une horreur. Il..."
Evitement (stratégies d’)
"Je t'aperçois soudain. Tu es pourtant encore loin (tu sors de cet immeuble à une centaine de mètres sur ce trottoir où grouille (tourbillonne, s'éparpille) une centaine de gens) mais à peine apparu au bout de cette foule tu m'as sauté aux yeux et je t'ai reconnu. Toi tu ne m'as pas vu : tu es tout à tes pensées tout en les évitant (je te connais par cœur : tu es comme ça tout le..."
Une fille à marier
"Honk se réveille avec une sérieuse gueule de bois. Il a joué aux dés une bonne partie de la nuit avec des types qu'il ne connaissait pas. L’un d’eux avait amené plusieurs bouteille d’un alcool plutôt correct, sûrement volées quelque part. Des filles sont passées. Ils se sont battus pour elles - sa mâchoire est douloureuse et sa pommette droite est entaillée - mais il a eu le dessus : l'odeur..."
Blason
"Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Vous vous ferez dessus. Moi je ne serai plus Que souvenirs furtifs, pâlichons et perclus, Passant en courants d'air dedans votre cervelle Mais on s'en fout au fond : ce qui compte, ma belle, Ce sont vos flux actuels, délicieux petits..."
La fugue
"Petit matin blême Table de la cuisine Famille autour Nous n'irons pas au phare aujourd'hui Dit la mère de son air le plus sévère Mais vous aviez promis dit..."
Une échappée
"Debout sur la terre craquelée, cinq arbres dressent leurs silhouettes obliques. Penchés en avant, ils semblent fuir, à bout de vitesse et de frayeur. Leur écorce tortueuse paraît figée dans l’élan d’une course éperdue, décisive. / L’impulsion se lit dans les contours de leurs troncs, dans la posture de leurs branches. Immobiles sur la lame de l’horizon, ils sont comme les..."
Du haut de la falaise de Plaisance
"Je me réveille mais n’ouvre pas les yeux. Je sens que je suis allongée sur un lit, nue, qu’aucun drap ne me recouvre. Je laisse mes mains et mes pieds glisser, explorer le drap dont je sens les plis, chaque pli. Mon sommeil a été agité. Il fait chaud, humide. Un souffle caresse mes pieds, un souffle chaud et lourd qui vient de ma droite. L’odeur de la mer. Le bruit des vagues. Là, à ma droite..."
Issues
"Ça a claqué sur le sol comme un coup de fouet, en pleine nuit. C’est comme ça que ça s’écroule. Ça ne choisit pas son moment. Ça arrive comme ça, n’importe quand, même la nuit. / On avait tenu contre tout, contre la menace, les autres, la peur et l’isolement, toutes les intempéries de ce temps maudit. C’était aux autres que ça arrivait au début. Nous, on fabriquait des bouts de..."
Disrupt
"Tu ne vas plus marcher la nuit pauvre conne comment veux-tu écrire encore sans retourner marcher la nuit sans le bâton et sans la route - et cesse donc de te gratter, comment veux-tu que je supporte ce corps minuscule endormi cette âme bradée si on ne marche plus la nuit si on ne gueule plus à la lune d’aller se pendre ailleurs avec son air réprobateur comment veux-tu, si tu ne t’..."
Barbara
"La fille de l’air titille tes pieds et tu vas faire un trou à la nuit. Tes chaussures sont prêtes, polies cirées, complices des adjas qu’il te faut mettre, pour disparaître souvent. Les voiles hurlent aux amarres larguées : tous ces cordages, comme ils encombrent ! Tu ne restes pas en place, ta case assignée, bien propre bien rangée, avec des gosses et une blanquette, tu l’as taguée à la..."
Talon-Aiguille
"Tic-tac fait la Trotteuse Sur ses aiguilles talons Nul mac ni rabatteuse Du trottoir tout le long L'Asphalteuse n'a de cesse De semer à la..."
1979
"L’image de l’auto qui devait nous emporter me sembla soudain trop pitoyable. Ces gens se tenaient debout dans l’habitacle d’une vieille carcasse et je me demandais pourquoi ils ne pouvaient pas passer les pieds à travers le bas de caisse afin de paraître plus ridicules encore. Cette forme grossière de soucoupe volante en plein jour devait s’appliquer à nous ramener au bercail. Cette..."
Laque rouge
"Elle a éprouvé les quatre murs et La laque rouge des meubles Dans son bégaiement têtu Fatiguée entière posée sur la table Vite repartie vers la lumière Transparence ni issue ni..."
Tirons-nous
"C’est le boxon dans la pièce y a un lit à gauche, on a mal fixé les trucs en bois qui coulissent ça couine à chaque mouvement les piles de draps atténuent le roulis, j’ai le corps tortillé de vieux vêtements la cravate béé au cou comme une corde à pendre, et j’y passerais en serrant le noeud bien fort. / Tirons-nous. / J’écris pour gagner du temps - bourrine un sac file, balance tes..."
L’exil d’Arik
"… Il fait ténèbres, ici. / Seuls quelques phosphènes, aussi ténus qu'une aube arctique, en brisent parfois l'obscur voile de leurs impromptus spiroïdaux. Depuis combien de temps suis-je donc ainsi, à la fois errant et perclus sur moi-même ? Dix ans ? Dix siècles ? Je ne saurais le dire. J'ai tellement pris l'habitude de l'inespoir... Et ce d'autant plus que... / Il fait douleur, ici. / Pas..."
Au bout de la dune
"Et à partir de là Épuisés de marcher parmi les crabes Nos espoirs écoulés dans le sablier Passé le campement des fidèles que nous ne sauverons pas À partir de là seulement il nous reste à fuir Leur souvenir rassérénant en..."
Rex ex nihilo
"Au crépitement du tungstène sous le pas des antilopes, quand viendra le temps du roucou sous l’angle occipital, vous atteindrez la valeur asymptotique de l’impact corpusculaire. L’emprunte étoilée de ce premier pas vous ouvrira des espaces tangibles où vous prendrez conscience de l’autre versant : adret des nuits, ubac des jours… Loin de vous enfoncer horizontalement au travers des..."
Echappatoires
"Et ce désir de fuite ne t’avait mené qu’à une chambre d’hôtel de Moscou / où tu t’attendais presque à retrouver le dernier poème d’Essessine, laissé dans la chambre d’hôtel où il s’était suicidé, écrit avec son propre sang / "Au revoir, mon ami, sans geste, sans mot, / Ne sois ni triste, ni en chagrin. / Mourir en cette vie n’est pas nouveau, / Mais vivre, bien sûr n’y est pas plus..."
Boucle d’Or
"Une main tourne la poignée. Plan fixe : « C’est là qu’elle a vécu ». Une pile d’objets bancale. Dinette. Peluches borgnes. Un peu d’enfance inhumaine (parmi des ours ?). La caméra à l’épaule répète des postures et des gestes maintenant sans corps : boire manger dormir. L’œil trace à vide des boucles – les contours une gamine soudain abstraite : ça tourne. / C’est peut-être dû à..."
Exercice
"Dehors le vent réinvente un roseau J’écris le verbe fuir À la..."
Se fuir, laisse venir
" l ’ e s p a c..."
DISSECTION : questions à Denis PÉAN
"Écrivez-vous plutôt pour ou contre, dans ou hors, malgré ou à propos de ? Ma poésie fait feu de tout bois ; comme le dit Hannah Arendt dans une éloquente entrevue : l'esprit humain a plus besoin de cohérence que de vérité, quitte à épouser une cohérence néfaste ou absurde. Je me régale avec l'incohérence et la fusion des..."
DISSIDENCES (8 coups-de-cœur de lecture)
Nicole & Éric CALIGARIS : LES SAMOTHRACES - éd. Le Nouvel Attila Manuel DAULL : TOUTE UNE VIE BIEN VERTICALE - éd. L'Atelier contemporain Sebastian DICENAIRE : DERNIÈRES NOUVELLES DE L’AVENIR - éd. Atelier de l'Agneau Hubert HADDAD : MẴ - éd. Zulma Noël HERPE : DISSIMULONS ! - éd. Plein Jour Hans LIMON : FRÈRES INHUMAINS - éd.EVIDENCE Nelly MAUREL : FATIGUER LA REPONSE REPOSER LA QUESTION - éd. Héros-Limite Emmanuel RÉGNIEZ : NOTRE CHÂTEAU - éd. Le Tripode
DISJONCTION (regards croisés) : “Le Paradis entre les jambes” (Nicole CALIGARIS)
"Comment se construit-on à l’ombre de quelque chose que l’on a en partie oublié, faute de l’avoir tout à fait vécu ? 38 ans après le W de Perec, Nicole Caligaris raconte comment le souvenir opaque de sa rencontre avec Issei Sagawa a façonné sa carrière d’écrivain. Mélangeant autobiographie et essai là où Perec mêlait fiction et souvenirs tortueux, elle se saisit de « ce fait divers dans..."
DISGRESSION : “Tu connais Lo’Jo ?” (Alain GABET)
"La chanson « Bonjour ignorance » fut ma porte d’entrée dans le monde de Lo’Jo un après-midi de 2007. J’étais à la recherche de nouvelles musiques après une longue période d’exploration des univers classiques et je tamisais des gigaoctets de pacotilles diverses. France 5 diffusait alors des petites vidéos enregistrées live dans l’émission « Studio 5 ». Dans une de celles-ci..."